đâđš Un mĂ©dic de 63 ans bouclier humain de lâarmĂ©e israĂ©lienne pendant 3 mois Ă Gaza
Des armes pointées sur son visage, en permanence. Des ordres aboyés. Envoyé seul dans des ruines dangereuses, en suivant un drone. Sans protection. Sans dignité. Sans pouvoir choisir.
đâđš Un mĂ©dic de 63 ans bouclier humain de lâarmĂ©e israĂ©lienne pendant 3 mois Ă Gaza
Par Drop Site News, le 5 juin 2025
âIls m'ont mis un uniforme militaire et m'ont demandĂ© de fouiller les maisons Ă la recherche d'explosifsâ.
Le recours gĂ©nĂ©ralisĂ© par IsraĂ«l aux civils palestiniens comme boucliers humains Ă Gaza et en Cisjordanie est bien documentĂ©. Selon certaines informations, dans le cadre du âmosquito protocolâ, les soldats israĂ©liens obligent les Palestiniens Ă inspecter bĂątiments, tunels et autres sites. IsraĂ«l dĂ©ment cette pratique, malgrĂ© des preuves de plus en plus nombreuses, notamment des tĂ©moignages de soldats israĂ©liens eux-mĂȘmes, qui affirment avoir recours Ă cette pratique, en partie pour Ă©viter que les chiens de combat ne soient blessĂ©s ou tuĂ©s. Ă Gaza, le recours d'IsraĂ«l Ă des boucliers humains s'est gĂ©nĂ©ralisĂ©.
Yahya Al-Qassas a risqué sa vie pour écrire l'article que vous allez lire, en s'introduisant dans une zone d'évacuation à Khan Younis pour interviewer Jameel al-Masri, un Palestinien de 63 ans contraint de servir de bouclier humain pendant trois mois. L'armée israélienne n'a pas donné suite à notre demande de commentaires.
â Un rĂ©cit de Yahya Al-Qassas
KHAN YOUNIS, GAZA â En octobre 2024, Jameel Al-Masri, un Palestinien de Beit Hanoun ĂągĂ© de 63 ans, travaillait Ă l'HĂŽpital IndonĂ©sien alors que l'armĂ©e israĂ©lienne menait ce qu'on a appelĂ© âle Plan des gĂ©nĂ©rauxâ, une opĂ©ration de nettoyage ethnique de larges secteurs de Gaza. Son travail consistait Ă aider les patients et leurs familles Ă se dĂ©placer dans l'hĂŽpital de la maniĂšre la plus sĂ»re possible, une tĂąche rendue difficile, voire impossible, quand IsraĂ«l a commencĂ© Ă attaquer la zone autour de l'hĂŽpital Ă la mi-octobre. Jameel et sa famille ont trouvĂ© refuge Ă l'Ă©cole El-Fawka.
Mais cela n'a servi à rien. Les troupes israéliennes sont arrivées quelques jours plus tard, ont assiégé l'école et ont ordonné à tous de partir vers le sud.
âJe suis employĂ© Ă l'hĂŽpital, je suis payĂ© par l'AutoritĂ© palestinienne et je ne travaille mĂȘme pas pour le gouvernement de Gaza. Avant, j'ai travaillĂ© des dizaines d'annĂ©es en IsraĂ«l et je parle hĂ©breu. Je n'ai rien Ă voir avec la politiqueâ.
PrĂšs du centre d'approvisionnement de l'ONU, des soldats israĂ©liens ont mis en place un checkpoint et ont commencĂ© Ă rassembler tous les hommes par groupes de cinq. Jameel Ă©tait parmi eux. Alors qu'il attendait prĂšs d'un centre de dĂ©tention, un soldat a criĂ© : âQuelqu'un parle hĂ©breu ici ?â Jameel a remarquĂ© que deux femmes avaient Ă©galement Ă©tĂ© enlevĂ©es et s'est dit qu'elles avaient besoin d'un traducteur. Il s'est avancĂ©.
âMoiâ.
C'est là que tout a basculé. Des soldats de la brigade Givati ont pris Jameel à part et l'ont interrogé sur son hébreu. Il leur a dit qu'il avait travaillé en Israël pendant plus de 30 ans. Ils lui ont bandé les yeux et l'ont poussé dans un véhicule blindé de transport de troupes, un APC. Sans aucune accusation. Sans aucune explication.
Quand on lui a retiré le bandeau, il a reconnu l'homme sur lequel il était allongé, ligoté par terre comme un colis. Ils sont restés ainsi une journée entiÚre. Jameel se souvient encore de son nom : Wael AbdelLatif Abo Amsha.
Le lendemain, les soldats leur ont dit :
âVous allez nous aider Ă faire sortir les gens des Ă©coles. C'est une mission de deux jours, puis vous pourrez rentrer chez vous. Vous ĂȘtes tous inconnus de nos servicesâ.
Ils l'ont habillé d'un gilet. Il a obéi, car il n'avait pas le choix. Les soldats lui avaient menti : des mois de tourments l'attendaient.
Une semaine s'est écoulée. Pas de libération. Seulement des coups, des cris, des humiliations et des ordures lancées sur eux.
âIl faut vider toutes les Ă©colesâ, ont-ils dit. âVous allez rester encore un peu, puis vous rentrerez chez vousâ.
La premiĂšre Ă©cole que Jameel a Ă©tĂ© contraint de faire Ă©vacuer se trouvait Ă Beit Hanoun. On lui a ordonnĂ© de se rendre Ă l'Ă©cole, de mettre les civils dĂ©placĂ©s en rang et de les faire sortir. Puis les soldats l'ont forcĂ© Ă entrer seul dans des maisons dĂ©truites et incendiĂ©es. La porte du vĂ©hicule blindĂ© s'ouvrait et on lui disait de sortir, vĂȘtu de l'uniforme de l'armĂ©e israĂ©lienne, et de fouiller l'intĂ©rieur. Un drone planait au-dessus de lui, une voix lui indiquant oĂč aller.
Pendant qu'il visitait la maison, le drone filmait tout. Puis les soldats faisaient irruption, plaçaient des explosifs sur les poteaux de soutien et faisaient exploser la maison. Et ainsi de suite. Encore et encore. Maison aprÚs maison.
L'unité militaire changeait tous les mois, mais Jameel est resté. Il a connu trois unités différentes. Il était leur instrument. Toutes les semaines ou toutes les deux semaines, il était traßné sur le terrain.

Jameel était malade. Il avait des problÚmes cardiaques, s'était fait poser un stent et était souvent essoufflé. Finalement, ils ont réalisé qu'il ne pouvait plus suivre et l'ont de moins en moins utilisé au cours des trois mois de sa captivité.
Une nuit, alors qu'une unitĂ© s'apprĂȘtait Ă partir, ils lui ont criĂ© dessus alors qu'il Ă©tait allongĂ© sur les marches, armes Ă la main. Ils lui ont ordonnĂ© de nettoyer leur cuisine. Il pensait qu'il allait enfin rentrer chez lui.
Au lieu de cela, ils l'ont fait asseoir et ont repris leur manĂšge, lui posant des questions sur son hĂ©breu. L'un d'eux a chargĂ© son arme derriĂšre lui, la pointant sur sa tĂȘte, jouant et riant.
âĂa m'Ă©tait Ă©gal. Je ne sais pas ce qu'ils avaient en tĂȘte. J'attendais chaque jour le cessez-le-feu pour rentrer chez moi.
âTous les deux ou trois jours, ils me faisaient la mĂȘme promesse :
ââNe t'inquiĂšte pas. Dans une semaine ou dix jours, tu rentreras chez toiââ.
Durant tout ce temps, il n'a mangé qu'un bout de pain et une boßte de thon par jour. La premiÚre semaine, ils ne lui ont rien donné.
J'ai interrogé Jameel sur ses conditions de vie. Il n'a pas hésité :
âC'Ă©tait trĂšs, trĂšs difficile de dormir. On dormait dans les escaliers et par terreâ.
Des armes pointées sur son visage, en permanence. Des ordres aboyés. Envoyé seul dans des ruines dangereuses, en suivant un drone. Sans protection. Sans dignité. Sans pouvoir choisir.
L'armée lui a-t-elle donné quelque chose pour se protéger ?
âIls m'ont habillĂ© avec un gilet et m'ont donnĂ© un uniforme militaireâ.
Il leur a demandé pourquoi.
âParce qu'on ne veut pas que le drone te tire dessusâ.
Les soldats étaient jeunes. à peine ùgés d'une vingtaine d'années. Ils parlaient un arabe approximatif. Il se souvient de certains noms : Sion, Dany, Ido, Benjamin.
Jameel raconte une autre nuit : il était allongé quand un soldat lui a sauté dessus, arme pointée.
âTu as deux minutes pour te prĂ©parerâ.
Jameel a été envoyé pour fouiller des maisons à Jabaliya. S'il traßnait, hésitait ou bougeait trop lentement d'épuisement, les soldats l'insultaient, le frappaient et le battaient pour le plaisir.
âFils de pute.
âQuel chienâ.
Il a vu des cadavres dans les rues.
Une autre fois, des soldats lui ont ordonné de nettoyer la cuisine. L'un d'eux a pointé une mitraillette sur lui pendant que l'autre filmait. Ils l'ont menacé en disant :
âC'est ton tour maintenantâ.
Puis ils ont ri et ont dit que c'Ă©tait une blague. Ce n'Ă©tait pas la premiĂšre fois. Une autre unitĂ© lui avait dĂ©jĂ fait le mĂȘme coup.
âMais au moins, je pensais qu'ils ne me tueraient pas Ă l'intĂ©rieur de la piĂšce. Peut-ĂȘtre dehors. Ils ne veulent pas de sang lĂ oĂč ils dorment. Ils ont peur du sang et des cadavresâ.
Jameel devait demander la permission pour aller aux toilettes. L'humiliation était constante. Les accusations aussi.
âC'est toi qui as fait le 7 octobreâ.
Jameel a répondu :
âQu'est-ce que j'ai Ă voir avec ça ? Rien. Je vais tous les jours travailler et je rentre chez moiâ.
Mais le soldat a répliqué :
âNon ! C'est vous tous. Vous ĂȘtes tous restĂ©s silencieux. Eux me l'ont dit. Ils s'en fichent. Ils ne posent pas de questions. Ils provoquentâ.
MĂȘme entre eux, ils Ă©taient violents. Jameel les entendait crier, se moquer, se vanter. Parler avec dĂ©sinvolture de tuer.
âJ'ai tirĂ© sur ce type.
âJ'ai tirĂ© comme çaâ.
Il entendait les soldats parler de leurs voyages en Thaïlande ou au Royaume-Uni aprÚs leur service, de Trump, d'un cessez-le-feu qui leur permettrait de rentrer chez eux. Il se souvient que des soldats ont parlé d'un incident au cours duquel l'un de leurs collÚgues était mort aprÚs avoir joué avec une grenade à Jabaliya.
âJe suis trĂšs affectĂ© psychologiquementâ.
Sa famille vivait dans l'angoisse.
âIls pensaient que j'avais Ă©tĂ© tuĂ©. Ils ne leur avaient pas dit oĂč j'Ă©tais. Si le gars de l'Ă©cole que j'avais Ă©vacuĂ© n'avait pas dit Ă ma famille que j'allais bien, ils m'auraient cru mortâ.
Jameel Al-Masri a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© le 20 janvier 2025, le premier jour du cessez-le-feu, aprĂšs avoir Ă©tĂ© enlevĂ© le 18 octobre 2024 dans le camp de rĂ©fugiĂ©s de Jabaliya. MĂȘme aprĂšs avoir retrouvĂ© sa famille, il n'arrivait toujours pas Ă y croire.
âIl m'a fallu un mois entier pour oublier ce que je venais de vivre. Je me rĂ©veillais encore en pensant que j'avais Ă©tĂ© enlevĂ©â.
Il souffre d'une hernie discale due aux coups infligés par les soldats. Il a été privé de ses médicaments contre l'hypertension. AprÚs sa libération, les médecins ont constaté un rétrécissement de ses artÚres. Il est désormais sous traitement et son état physique s'est amélioré. Mais son esprit est toujours captif.
AprĂšs sa libĂ©ration, Al-Masri est restĂ© Ă Khan Younis malgrĂ© l'ordre de partir. Sa famille n'a pas trouvĂ© d'autre lieu oĂč se loger et n'a pas les moyens d'acheter une tente. Ils sont dĂ©sormais hĂ©bergĂ©s dans une Ă©cole.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Younis Tirawi et Maira Pinheiro ont contribué à ce reportage.