đâđ¨ Un pays qui se soulève
En deux mois, tout a changĂŠ. On ne peut plus sĂŠparer les manifs du jeudi, massives mais vaines, des sauvages qui font courir la police jusquâau bout de la nuit. Combinaison inĂŠdite & renversante.
đâđ¨ Un pays qui se soulève
Par FrĂŠdĂŠric Lordon, 22 mars 2023
En deux mois, tout a changĂŠ. On ne pourra plus sĂŠparer les manifestations du jeudi, massives mais vaines, des sauvages qui font courir la police jusquâau bout de la nuit. Combinaison cette fois renversante.
Lundi 20 mars, les pages dâaccueil de la presse nationale sont tout entières Ă lâexcitation dâune motion de censure, Ă compter les dĂŠputĂŠs susceptibles de voter, Ă supputer des chances, Ă envisager de futures combinaisons, Ă jouer les informĂŠs, quel dĂŠlice â le journalisme politique : passeport pour lâinanitĂŠ politique.
Lire aussi GrĂŠgory Rzepski, ÂŤÂ Capitalisation, lâautre nom de la rĂŠforme des retraites , Le Monde diplomatique, mars 2023.
Pendant ce temps, la politique, dans sa puissance de surgissement, sâest emparĂŠe du pays. Une nuĂŠe dâinitiatives spontanĂŠes explose de tous cĂ´tĂŠs, dĂŠbrayages sans prĂŠavis, blocage des axes routiers, dĂŠbordements ĂŠmeutiers ou simples manifs sauvages, AG ĂŠtudiantes dans tous les coins, lâĂŠnergie de la jeunesse Ă la Concorde, dans la rue. Tout le monde se sent sur des charbons ardents et des impatiences dans les jambes â mais pas pour les sottises qui passionnent le dĂŠ Ă coudre parisien. Le dĂŠ Ă coudre est Ă lâimage de la tĂŞte dâĂŠpingle, les journalistes scotchĂŠs Ă Macron et Borne, aussi ignorants les uns que les autres de ce qui se passe vraiment : lâĂŠbullition.
Câest beau ce qui se passe quand lâordre commence Ă dĂŠrailler. Des choses petites mais inouĂŻes, qui rompent lâenfermement rĂŠsignĂŠ et lâatomisation dont les pouvoirs font leur pouvoir. Ici des agriculteurs amènent des paniers de lĂŠgumes aux cheminots en grève ; lĂ un restaurateur libanais distribue des falafels aux manifestants nassĂŠs ; des ĂŠtudiants rejoignent les piquets ; on verra bientĂ´t des particuliers ouvrir leur porte pour cacher des manifestants de la police. Le vrai mouvement commence. Dâores et dĂŠjĂ nous pouvons dire que la situation est prĂŠ-rĂŠvolutionnaire. Ă quelles perspectives fait-elle face ? Se peut-il quâelle puisse se dĂŠbarrasser du ÂŤÂ prĂŠ-  pour devenir pleinement rĂŠvolutionnaire ?
Gouverner par la rafle
Ce pouvoir, lĂŠgitimitĂŠ effondrĂŠe, nâest plus quâun bloc de coercition. Pour avoir lui-mĂŞme abattu toutes les mĂŠdiations, lâautocrate nâest plus sĂŠparĂŠ du peuple que par une ligne de policiers. De cet individu que toute raison a depuis longtemps dĂŠsertĂŠ, rien ne peut ĂŞtre exclu.
Lire aussi Serge Halimi,  Un homme contre un peuple , Le Monde diplomatique, fÊvrier 2023.
Macron nâa jamais inscrit lâaltĂŠritĂŠ. Sa psychĂŠ ignore ce que câest quâun autre, un autre sujet. Il nâest en dialogue quâavec lui-mĂŞme et le dehors nâexiste pas. Câest pourquoi notamment sa parole, entendons le sens mĂŞme de ses mots, ne se sent soumise Ă aucune des validations collectives de lâinterlocution. Le 3 juin 2022, il peut soutenir sans ciller quâil va ÂŤÂ changer de mĂŠthode  et que ÂŤÂ les Français sont fatiguĂŠs des rĂŠformes qui viennent dâen-haut , le 29 septembreque ÂŤÂ le citoyen nâest pas quelquâun Ă qui on va imposer des dĂŠcisions . Nâest-il pas flagrant que face Ă un type de cette sorte, toute possibilitĂŠ dialogique se trouve de fait abolie ? Que plus rien de ce quâil dira ne pourra jamais ĂŞtre pris au sĂŠrieux ? On comprend sans peine quâun tel individu, ne connaissant rien dâautre que lui-mĂŞme, soit rigoureusement incapable dâun aveu dâerreur autre que factice puisquâil faut sâĂŞtre mis Ă lâĂŠcoute du dehors, du non-soi, pour apercevoir sâĂŞtre trompĂŠ. Câest pourquoi toutes ses promesses de ÂŤÂ rĂŠinvention  (qui enchantent tant les journalistes) ne peuvent ĂŞtre autre chose que des pantomimes produites dans son circuit fermĂŠ.
Face Ă un potentat, entièrement abandonnĂŠ Ă ses motions par des institutions politiques potentiellement, et dĂŠsormais rĂŠellement, liberticides, tous les niveaux de violence sont envisageables, tout peut arriver. Tout est en train dâarriver dâailleurs. Les sĂŠquences de la nasse de la rue Montorgueil ce dimanche sont Ă cet ĂŠgard dâune parfaite clartĂŠ. La politique macronienne est en voie de se dissoudre entièrement dans lâintimidation par la police. DĂŠsormais ce pouvoir gouverne par la rafle. La police embarque. Nâimporte qui, nâimporte comment, des passants sans rapport avec la manifestation, des femmes et des hommes apeurĂŠs, sidĂŠrĂŠs de ce qui leur arrive. Un seul message : nâallez pas dans la rue ; restez chez vous ; regardez la tĂŠlĂŠÂ ; obĂŠissez.
Ici la transaction inconsciente que la police noue avec ses recrues donne toute sa mesure : lâaccord est immĂŠdiat entre une institution vouĂŠe Ă la violence et des individus Ă la recherche de solutions lĂŠgales dâassouvissement de leurs propres pulsions violentes. Cet accord trouve une occasion sans pareille en situation prĂŠ-rĂŠvolutionnaire, quand le pouvoir, prĂŠcisĂŠment, ne tient plus que par la force, et que les manĹuvres de la force, derniers recours, se voient attribuer une importance dĂŠmesurĂŠe â en mĂŞme temps quâune carte blanche. Comme nous lâavons dĂŠjĂ vu Ă lâoccasion des ÂŤÂ gilets jaunes , câest le temps des sadiques et des brutes en uniforme.
La thèse des ÂŤÂ Policiers avec nous  en est entièrement caduque, nâa plus aucune chance : lâemprise pulsionnelle de lâautorisation violente lâemporte absolument sur la proximitĂŠ sociale objective en laquelle reposait lâillusion de la ÂŤÂ jonction  â matĂŠrialisme vulgaire sâil ne prend en considĂŠration que les donnĂŠes sociales de lâexistence matĂŠrielle et ignore tout le reste (qui ne leur est pas entièrement rĂŠductible). Telles sont les voies par lesquelles les structures produisent leurs effets, par lesquelles un ordre satisfait Ă ses nĂŠcessitĂŠs : en se faisant relayer par les psychĂŠs des fonctionnaires adĂŠquats quâil sâest choisis, et ceci depuis Macron tout en haut jusquâĂ la dernière brute policière dans la rue.
Contre-forces
Des contre-forces cependant nous protègent de la descente vers la tyrannie ou plus simplement de lâĂŠcrasement par la police. Mentionnons la première par acquit de conscience, câest-Ă -dire sans trop y croire. Il est peut-ĂŞtre possible que quelques reliquats de moralitĂŠ, quelque idĂŠe des limites et des points de bascule, traĂŽnent encore dans lâappareil dâĂtat â certainement pas au ministère de lâintĂŠrieur oĂš la vĂŠrole a tout conquis, oĂš, semblable Ă ses troupes, trĂ´ne un ministre quasi-fasciste â, mais dans des cabinets, dans les ÂŤÂ entourages  oĂš, Ă un moment, pourrait se former la conscience de la transgression politique majeure, lâinquiĂŠtude de commettre lâirrĂŠparable. Comme on sait, il vaut mieux ne pas trop tabler sur des hypothèses de sursaut vertueux, forme laĂŻque du miracle, Ă plus forte raison dans lâĂŠtat de corruption, morale autant que financière, de la ÂŤÂ rĂŠpublique exemplaire  â et dans le cas critique de lâordre bourgeois Ă prĂŠserver.
Lire aussi ÂŤÂ RĂŠforme des retraites : et câest reparti ! , Le Monde diplomatique, 12 janvier 2023.
Une contre-force plus matĂŠrielle tient, elle, au possible dĂŠbordement de la police. Non pas dans le feu de quelque action localisĂŠe â dans ce genre de circonstance, et sauf dĂŠveloppement de tactiques spĂŠciales, câest probablement sans espoir â, mais Ă lâĂŠchelle du pays entier. Car sâil y a quelque part au ministère de lâintĂŠrieur un big board façon Dr Folamour, il doit ĂŞtre en train de clignoter comme un sapin de NoĂŤl â mais avec que du rouge partout. La police avait tenu pendant les ÂŤÂ gilets jaunes , et encore : non sans frĂ´ler lâĂŠpuisement, parce que ça se passait dans un nombre limitĂŠ de grandes villes et une fois par semaine seulement. VoilĂ que ça part de partout en France et tous les jours. Merveilleuse puissance du nombre â la hantise de tous les pouvoirs, le Nord de toute rĂŠvolution. DĂŠjà ça doit commencer Ă tirer la langue derrière les visières. Or ils nâont pas fini de courir et de faire du kilomètre en fourgons. Il faut leur mettre un feu dâartifice, que le sapin ne soit plus quâune ĂŠnorme guirlande et que le big board fasse sauter le tableau. LâĂŠpuisement de la police : voilĂ un lieu nĂŠvralgique pour le mouvement.
Il y a enfin cette ressource dâun autre ordre : la haine de la police â en tant quâelle est motrice. Quand un pouvoir lâche ses brutes, il peut sâen suivre deux effets, mais radicalement contrastĂŠs : lâintimidation ou le dĂŠcuplement de la rage. Tous les renversements se produisent quand le premier affect mute en le second. Il y a beaucoup de raisons de penser que nous y sommes. Car câest peu dire que lâambiance est Ă la rage. La haine de la police promet dâatteindre Ă la fois une profondeur et une extension inĂŠdites. Or, Macron collĂŠ Ă sa police, la haine de la police se convertit ipso facto en haine de Macron. Celui-lĂ , rĂŠellement, on ne sait pas comment il va finir â le mieux serait sans doute : en hĂŠlicoptère.
DĂŠpasser le ÂŤÂ prĂŠ-Â Âť
Nâest-il pas en effet apparent pour tous quâĂ force de vouloir trĂ´ner seul en gloire, Macron sâest collĂŠ Ă tout : il sâest collĂŠ Ă la loi retraites, comme il sâest collĂŠ Ă la police, de sorte que, par mĂŠtonymie, il est devenu la synthèse vivante de toutes les dĂŠtestations particulières, et finalement leur unique objet. Par un cran de mĂŠtonymie supplĂŠmentaire, autant que par une nĂŠcessitĂŠ de structure, il est ĂŠgalement collĂŠ Ă ÂŤÂ ordre capitaliste . De sorte que telle est bien la question dĂŠsormais Ă lâordre du jour : en finir avec ÂŤÂ Macron lâordre capitaliste . Soit une question rĂŠvolutionnaire.
La question posĂŠe peut ĂŞtre rĂŠvolutionnaire sans que la situation elle-mĂŞme le soit. Lâhistoire a montrĂŠ quâil y avait ici deux partis possibles : attendre sur la rive quâelle se forme ÂŤÂ toute seule , ou bien lui donner activement un coup de main pour quâelle le devienne. Au risque du porte-Ă -faux peut-ĂŞtre, mais avec lâĂŠventuelle assistance des rythmes qui, en certaines conjonctures, peuvent connaĂŽtre de fulgurantes accĂŠlĂŠrations. Dans tous les cas, on ne passe pas du ÂŤÂ prĂŠ-rĂŠvolutionnaire  actuel Ă ÂŤÂ rĂŠvolutionnaire  tout court avec la seule nĂŠgativitĂŠ dâun refus. Il y faut aussi une affirmation, un ĂŠnorme ÂŤÂ pour , qui rĂŠalise lâunification des puissances de tous. Quelle peut-elle ĂŞtre ? â la question sâentendant sous la condition dâĂŞtre Ă la hauteur de ce qui est en train de soulever le pays, mĂŞme si câest encore sous une forme indĂŠfinie â et, prĂŠcisĂŠment, pour le faire passer Ă une forme dĂŠfinie.
Pour laisser une insurrection Ă lâĂŠtat de moyen et non de fin, pour quâelle devienne rĂŠellement processus rĂŠvolutionnaire, il lui faut articuler un dĂŠbouchĂŠ. Câest-Ă -dire formuler un dĂŠsir politique positif, oĂš le nombre, toujours lui, puisse se reconnaĂŽtre. Mais il nây a pas Ă chercher très longtemps pour le cerner, en rĂŠalitĂŠ nous ne connaissons que lui : nous occuper de nos affaires, Ă commencer par celles de la production. Le dĂŠsir politique positif, celui que le capitalisme et les institutions politiques bourgeoises offensent par principe et par dĂŠfinition, câest celui de la souverainetĂŠ.
La souverainetĂŠ des producteurs sur la production, voilĂ qui peut parler et bien au-delĂ de la seule classe ouvrière, la première concernĂŠe. Car de plus en plus nombreux, ceux quâon appelle les cadres souffrent eux aussi de lâabĂŞtissement managĂŠrial, de la fĂŠrule aveugle des actionnaires, de lâidiotie des choix de production de leurs directions, quand ça nâest pas de leur nocivitĂŠ, et aspirent, mais dâune gigantesque aspiration, Ă avoir leur mot Ă dire sur tout ce dont ils sont dĂŠpossĂŠdĂŠs.
Il nây a de lĂŠgitimitĂŠ, partant de titre Ă la souverainetĂŠ, que pour ceux qui font le travail. Quant Ă ceux qui, en ignorant tout, prĂŠtendent nĂŠanmoins lâorganiser, consultants et planneurs, ce ne sont que des parasites, et il faut les chasser.
Il nây a de lĂŠgitimitĂŠ, partant de titre Ă la souverainetĂŠ, que pour ceux qui font le travail. Quant Ă ceux qui, en ignorant tout, prĂŠtendent nĂŠanmoins lâorganiser, consultants et planneurs, ce ne sont que des parasites, et il faut les chasser. Lâargument suprĂŞme, imparable, pour la souverainetĂŠ des producteurs a ĂŠtĂŠ donnĂŠ par un syndicaliste, Eric Lietchi, de la CGT Energie Paris. Les bilans parlent dâeux-mĂŞmes, fait-il observer en substance : sous la direction de la classe parasitaire, le pays a ĂŠtĂŠ dĂŠtruit. LâhĂ´pital est en ruine, la justice est en ruine, lâĂŠducation est en ruine, la recherche et lâuniversitĂŠ sont en ruine, le mĂŠdicament est en ruine â les potards sont suppliĂŠs de fabriquer de lâamoxycilline dans leurs arrière-boutiques. Cet automne, Borne en ĂŠtait ÂŤÂ Ă la grâce de Dieu  Ă espĂŠrer quâil ne ferait pas trop froid lâhiver pour que le système ĂŠlectrique â en ruine comme le reste â tienne Ă peu près. On flash-recrute des profs en une demi-heure. On mobilise des fonctionnaires pour conduire des bus â bientĂ´t des trains ? Et les gens ont faim. On nâaurait pas cru possible dâĂŠcrire un jour une chose comme ça, mais le fait est lĂ Â : un quart des Français ne mange pas Ă sa faim. Les jeunes ont faim. Les files Ă lâaide alimentaire sont interminables. Entre ça et la police, France 2 ferait un reportage ÂŤÂ tableau dâensemble , mais Ă lâaveugle, sans indiquer de quel pays il sâagit, on organiserait dans lâinstant un Machinthon en solidaritĂŠ, Binoche se couperait une mèche et Glucksmann prĂŠparerait une tribune â pour ces malheureux du bout du monde.
En quelques dĂŠcennies, avec un pic dâexploit depuis 2017, un modèle entier a ĂŠtĂŠ mis Ă genoux. Ils ont mis lâĂŠconomie Ă genoux. Pas la CGT, pas lâIntersyndicale â si seulement â : eux. Les compĂŠtents ont ruinĂŠ le pays. La dĂŠsorganisation est totale. Comme on sait, le diplĂ´me et la compĂŠtence ont ĂŠtĂŠ historiquement promus par la bourgeoisie comme titres substitutifs au sang et au lignage pour ĂŠvincer lâaristocratie. Paradoxe (qui nâen est pas un), dans le capitalisme tardif, lâincompĂŠtence de la bourgeoisie est devenue une force en soi â on peut lui donner son nom par une rectification minimale de Schumpeter : la destruction destructrice. Ou alors son nom propre de synthèse : McKinsey.
Imaginer lâinouĂŻ
Lâargument de Lietchi prend ici toute sa force. Car lâidĂŠe de la souverainetĂŠ des producteurs, usuellement renvoyĂŠe au monde des rĂŞves, tombe comme la consĂŠquence logique, dâun constat irrĂŠfutable. Sa conclusion sâen dĂŠduit avec le mĂŞme tranchant : il faut virer ces nuisibles imbĂŠciles et leur reprendre la totalitĂŠ de la production. Ils nâont pas su faire ? Les travailleurs sauront â ils savent dĂŠjĂ . On pourrait considĂŠrer que tel est le vrai sens Ă donner aux mots ÂŤÂ grève gĂŠnĂŠrale  : non pas lâarrĂŞt gĂŠnĂŠral du travail, mais lâacte dâinitiation de la rĂŠappropriation gĂŠnĂŠrale de lâoutil â le commencement de la souverainetĂŠ des producteurs.
Lire aussi Baptiste Giraud, ÂŤÂ La grève gĂŠnĂŠrale, invitĂŠe-surprise de lâhistoire , Le Monde diplomatique, juin 2016.
Câest Ă ce moment que lâĂŠvĂŠnement signale sa puissance dâinouĂŻ, si ça nâest encore, pour lâheure, quâen imagination. InouĂŻe en effet la physionomie des entreprises quand elles reviennent aux mains des salariĂŠs. InouĂŻe la rĂŠorganisation des services publics quand ils sont sous la direction de ceux qui savent soigner, enseigner, contrĂ´ler la sĂŠcuritĂŠ des voies ferrĂŠes et conduire les trains, tirer des lignes, distribuer le courrier en ayant le temps de parler aux gens, etc. InouĂŻes lâouverture des universitĂŠs Ă tous les publics, lâaffranchissement de lâart de la bourgeoisie artiste et de ses commanditaires capitalistes. InouĂŻe la dĂŠconfiture de la bourgeoisie, la condamnation historique de son mĂŠlange caractĂŠristique dâarrogance et de nullitĂŠ â ne sachant rien faire, elle nâa jamais fait que faire faire.
On sera dâaccord que des imaginations ne font pas une forme tout armĂŠe â câest dâailleurs tant mieux. Elles font au moins une direction pour lâesprit. Ici une direction commune, dĂŠrivĂŠe de la question politique, Ă dĂŠcliner en toutes matières : qui dĂŠcide ? Plus exactement, dĂŠrivĂŠe dâun principe : tous les concernĂŠs ont titre Ă dĂŠcider.
Le principe fait ligne de partage des eaux. Pour la bourgeoisie, seule la bourgeoisie a compĂŠtence Ă dĂŠcider. CNews, qui dit la vĂŠritĂŠ de la bourgeoisie tardive, sa vĂŠritĂŠ fascisĂŠe si besoin est, a parfaitement conscience du pĂŠril : ÂŤÂ Doit-on craindre le retour du communisme ? , demande un bandeau angoissĂŠ. Sans doute inintentionnellement, la question est bien posĂŠe. Dès lors que ÂŤÂ communisme  est entendu comme le parti opposĂŠ, le parti du titre de tous, le parti de la souverainetĂŠ gĂŠnĂŠrale, le parti de lâĂŠgalitĂŠ.
Le merveilleux surgissement des ÂŤÂ gilets jaunes  avait pour dĂŠfaut de ne sâĂŞtre jamais accrochĂŠ Ă la question salariale. Quant aux porteurs officiels de cette question, rouage institutionnel installĂŠ au chaud dans le système institutionnel, ils nâont jamais eu de cesse que de dĂŠpolitiser la question dont ils avaient la charge, transformĂŠe en affaire de conventions collectives. Avec, sous cette conduite ĂŠclairĂŠe, nous : abonnĂŠs Ă la dĂŠfaite.
En deux mois, tout a changĂŠ. Les formes de la lutte se diversifient et se complètent : on ne pourra plus sĂŠparer les manifestations du jeudi, massives mais vaines, des sauvages qui font courir la police jusquâau bout de la nuit. Alors la substance de la lutte des classes se coule dans la forme des ÂŤÂ gilets jaunes . Combinaison inĂŠdite, si longtemps attendue. Cette fois renversante.