👁🗨 Un Ramadan au cœur des décombres
Nous nous couchons tôt, pour fuir les cris qui nous hantent dans la nuit. Épuisés, nous attendons que le sommeil nous gagne, qu'il nous offre un répit dans ces souffrances qui nous serrent le cœur.
👁🗨 Un Ramadan au cœur des décombres
Par Sahar Qeshta, le 3 avril 2024
Ce ramadan à Gaza ne ressemble à aucun autre.
Nous ne profitons pas du traditionnel suhoor pour nous préparer à la journée qui s'annonce [suhoor : repas, généralement léger, que prennent les musulmans juste avant l'aube durant le mois de ramadan].
Ici, on ne célèbre plus rien.
Pas d'invitations lancées aux voisins.
Nous pouvons à peine manger, sans parler des invités, même s'ils font partie de notre propre famille élargie.
Impossible de manger des sucreries et du jus de fuit après l'iftar [iftar : repas du soir, le moment de la rupture du jeûne].
Les sucreries sont un luxe inaccessible.
Nous ne buvons que de l'eau polluée.
Le poulet et la viande rouge étaient autrefois nos produits de base. Ils sont remplacés par des conserves et des produits industriels.
Les fruits sont pratiquement inexistants.
Mon fils souffre de thalassémie [anémie]. Il lui faudrait une alimentation riche en fer.
Ce dont il a besoin est introuvable, et il a commencé à montrer des signes d'anémie.
C'est le premier Ramadan de mon fils. Au coucher du soleil, il mange une petite boîte de haricots.
Il a maigri. Je ne peux pas lui dire que je tiens à ce qu'il jeûne, car nous n'avons presque rien à manger.
Nos proches nous manquent tant
Le soir, nous nous réunissons pour les prières de tarawih [prières quotidiennes du soir] au beau milieu des décombres des mosquées détruites ou sévèrement touchées.
Tant de gens manquent à l'appel à nos tables. Tous ont perdu un être cher dans cette guerre.
Avec les déplacements massifs de population, les gens doivent partager leurs repas sous la tente. Ce qui nous entoure nous rappelle constamment la dévastation qu'Israël nous inflige.
Depuis près de six mois, nous sommes privés d'électricité. Nous devons prendre l’iftar à la faible lueur des téléphones portables.
Cette année, pas de télévision dédiée au Ramadan. Rien ne peut nous distraire de la réalité.
Nos connexions internet sont défaillantes, nous sommes coupés du monde.
Nous nous couchons tôt, cherchant à fuir les cris qui nous hantent dans la nuit. Les drones se font toujours entendre au-dessus de nos têtes.
Épuisés, nous aspirons à ce que le sommeil nous gagne, qu'il nous offre un répit dans ces souffrances qui nous serrent le cœur.
Les années précédentes, nous donnions aux nécessiteux pendant le ramadan, pour qu'ils puissent rompre leur jeûne avec des repas copieux et nourrissants. Aujourd'hui, nous faisons partie de ceux qui dépendent des dons et des colis d'aide.
Le changement a été radical.
Nous vivons dans un pays bouleversé. Nous n'avons aucun contrôle sur la situation.
Israël continue de commettre des atrocités pendant ce mois sacré.
Le plus grand hôpital de Gaza - al-Shifa - a été le théâtre d'un massacre qui compte parmi les pires de l'histoire de la Palestine.
Les maisons sont toujours bombardées.
Des gens sont encore piégés sous les décombres.
Toutes ces horreurs continuent pendant une phase qui se veut propice à la réflexion et à l'épanouissement spirituel.
Le monde doit ne doit pas nous voir comme des statistiques et des gros titres, mais comme des êtres humains qui méritent justice.
Il faut mettre fin au génocide.
* Sahar Qeshta est écrivain à Gaza.
https://electronicintifada.net/content/ramadan-amid-rubble/45566