👁🗨 Une ex otage raconte comment l'armée israélienne a tué des résidents du kibboutz
“Mon mari a été séparé de nous trois jours avant le retour en Israël, & emmené dans les tunnels. Et vous voulez inonder les tunnels ? De bombarder le tracé des tunnels là où ils sont retenus ?”
👁🗨 Une ex otage raconte comment l'armée israélienne a tué des résidents du kibboutz
Par David Sheen & Ali Abunimah, le 12 mars 2024
Une Israélienne capturée par des combattants palestiniens le 7 octobre 2023 est reconnaissante envers le pilote d'hélicoptère qui a tiré sur le véhicule dans lequel elle se trouvait, tuant un autre Israélien ainsi que tous leurs ravisseurs, a rapporté le mois dernier la chaîne israélienne Channel 12.
Shani Goren, une habitante du kibboutz Nir Oz, âgée de 29 ans, a été enlevée chez elle sous la menace d'une arme par des combattants palestiniens et transportée dans la bande de Gaza, où elle a été détenue 55 jours. Elle a été libérée le 30 novembre.
Cependant, avant qu'elle n'atteigne Gaza, un véhicule transportant Goren a été la cible de tirs nourris de la part d'un hélicoptère de combat israélien.
Lorsque les tirs ont cessé, Mme Goren a réalisé que les balles de gros calibre de l'hélicoptère avaient tué tous ses ravisseurs, ainsi qu'une Israélienne, Efrat Katz, une autre habitante de Nir Oz.
“Mon pantalon était déchiré et couvert de sang. J’ai levé la tête et aperçu des dominos”, se rappelle Goren à Ilana Dayan, présentatrice de la prestigieuse émission d'investigation Uvda sur Channel 12 - et, coïncidence, également sa cousine. “Tous les Palestiniens ont été tués.”
Vous pouvez visionner une partie du récit de Mme Goren avec sous-titres en anglais dans la vidéo ci-dessus, ou sur Youtube. Une transcription est disponible ci-dessous*.
Goren et les autres captifs israéliens qui ont survécu aux tirs nourris de l'hélicoptère ont été enlevés quelques minutes plus tard par d'autres Palestiniens revenant de Nir Oz sur l'un des tracteurs du kibboutz.
Seule une femme, Neomit Dekel-Chen, 63 ans, leur a échappé en faisant semblant d'être mortellement blessée par les tirs de l'hélicoptère.
Le 7 octobre, l'armée israélienne a mis en œuvre sa très controversée directive Hannibal, qui consiste à ordonner l'assassinat de prisonniers israéliens pour éviter d'avoir à négocier leur vie en libérant des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes.
Au kibboutz Be'eri, une autre colonie israélienne située près de la frontière de Gaza, l'armée israélienne a attaqué une maison où se trouvaient 14 otages civils et plusieurs dizaines de combattants du Hamas.
Tous les combattants de Qassam, sauf un, et tous les prisonniers, sauf deux, ont été tués dans les tirs croisés. Au moins trois des civils, dont Liel Hatsroni, 12 ans, ont été calcinés par des obus de chars israéliens tirés sur la maison.
Comme The Electronic Intifada l'a précédemment rapporté, Barak Hiram, le général israélien qui a donné l'ordre de tirer sur la maison, a raconté une histoire inventée de toutes pièces pour tenter de dissimuler cet incident, lorsque Ilana Dayan, de Channel 12, l'a interviewé en octobre.
Les familles des civils israéliens tués par les tirs de l'armée israélienne au kibboutz Be'eri ont exigé que l'armée enquête immédiatement sur l'incident comme sur la décision d'utiliser une puissance de feu écrasante au prix de la vie de leurs proches.
Des sources militaires israéliennes ont révélé que le 7 octobre, des hélicoptères d'attaque, ainsi que des drones armés, ont envahi le ciel au-dessus du sud d'Israël et autour de Gaza.
Le média israélien Ynet a rapporté en novembre que
“28 hélicoptères de combat ont tiré au cours de la journée toutes les munitions qu'ils avaient en stock, multipliant les tentatives de réarmement”.
Ynet mentionne en particulier le lieutenant-colonel A., commandant de l'escadron 190, qui, vers le milieu de la matinée du 7 octobre,
“a ordonné aux autres chasseurs de tirer sur tout ce qui bougeait dans le secteur des frontières”.
“S'il tire à nouveau, c'est moi qui meurs”
Au moins une survivante de l'attaque d'hélicoptère israélienne qui a tué Efrat Katz, une habitante de Nir Oz, a dénoncé la volonté répétée d'Israël de sacrifier la vie de ses citoyens - le jour où elle a été enlevée, pendant qu'elle était détenue à Gaza, et depuis son retour chez elle le 27 novembre.
Lors d'une réunion avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son cabinet de guerre, la semaine suivant sa libération, Sharon Cunio a reproché aux dirigeants israéliens d'avoir approuvé la directive Hannibal, et les a suppliés de ne plus prendre de risques avec la vie de son mari David Cunio, toujours détenu à Gaza.
“Notre sentiment, c’est que personne n’a fait rien pour nous. En réalité, je me suis réfugiée dans une cachette qui a été bombardée, et nous avons dû sortir en douce, après avoir été blessés. Sans parler de l'hélicoptère qui nous a tiré dessus sur la route vers Gaza. Ils prétendaient avoir obtenu des renseignements, mais le fait est que nous avons été bombardés”,
leur a dit Mme Cunio, selon le média israélien Ynet, qui s'est procuré des enregistrements de la réunion controversée.
“Mon mari a été séparé de nous trois jours avant notre retour en Israël, et a été emmené dans les tunnels”, a déclaré Mme Cunio aux membres du cabinet de guerre. “Et vous parliez d'inonder les tunnels avec de l'eau de mer ? De bombarder le tracé des tunnels dans la zone où ils sont retenus ?”.
La colère de Cunio face aux multiples mises en œuvre de la directive Hannibal par Israël n'est cependant pas partagée par Goren, emmenée à Gaza à bord du même tuk tuk - un petit véhicule utilitaire motorisé.
Lorsqu'on lui demande quels sont ses sentiments à l'égard du pilote de l'hélicoptère qui les a arrosés de tirs, Goren répond qu’elle a ressenti de la gratitude, tout en regrettant qu'il n'ait pas poursuivi ses tirs sur le deuxième groupe de Palestiniens qui les a emmenés à Gaza.
“Merci, et pourquoi n'êtes-vous pas resté ?” a déclaré Goren à Channel 12. “Pourquoi n'êtez-vous pas venu pour abattre tous ceux qui se trouvaient là ? Si un seul hélicoptère avait tiré, tout se serait bien passé. Nous ne serions jamais arrivés à Gaza”.
L'appréciation de Goren est d'autant plus étrange qu'elle semble comprendre qu'elle aurait pu être tuée, tout comme Efrat Katz, si l'hélicoptère était revenu.
“J'essayais aussi de me cacher, de me réfugier à l'intérieur autant que possible”, explique Goren à Ilana Dayan alors qu'ils regardent les images du deuxième véhicule chargé de personnes qui finira par arriver à Gaza. “
À ce moment-là, j’ai eu peur que l'hélicoptère ne nous tire à nouveau dessus. Cette fois, j'étais exposé de dos. S'il tirait à nouveau, c'est moi qui mourais”.
Mme Goren a également décrit comment, le 23 octobre, elle et d'autres Israéliens détenus à Gaza ont été évacués à la hâte par leurs ravisseurs palestiniens de la maison où ils étaient retenus, alors qu'ils avaient été avertis de l'imminence d'un bombardement par l'armée de l'air israélienne.
Des tirs amis en masse
Doron Katz-Asher et ses deux petites filles Raz et Aviv se trouvaient dans le premier véhicule avec Efrat Katz, la mère de Doron, et Shani Goren lorsque l'hélicoptère a attaqué.
Mme Katz-Asher a raconté à Channel 12, lors d'une interview réalisée en décembre, ce qui lui est passé par la tête au moment où l'hélicoptère israélien a ouvert le feu, tuant sa mère et blessant Mme Katz-Asher et sa petite fille Aviv, âgée de 2 ans.
“Cela peut sembler bizarre, mais j'ai eu l'impression d'être dans un film de guerre avec des tirs et des terroristes, et je voulais tellement arriver à Gaza, pour être emmenée dans un lieu sûr, entre guillemets, où je ne serais pas sous le feu”, a déclaré Mme Katz-Asher. “Et où ils pourraient peut-être même soigner mes blessures”.
“Ça a même été une forme de soulagement d’arriver vivantes [à Gaza]”, a ajouté Mme Katz-Asher.
Mme Katz-Asher et ses deux filles sont rentrées chez elles le 24 novembre, dans le cadre du cessez-le-feu temporaire et de l'accord d'échange de prisonniers conclus ce mois-là.
Pendant sa détention à Gaza, Mme Katz-Asher a déclaré qu'elle ne pouvait s'empêcher de penser “avoirs été abandonnée” par les dirigeants israéliens, et “qu'ils n"‘étaient peut-être animés que par un esprit de vengeance”.
L'armée israélienne a admis l'existence d'une “quantité énorme et complexe” d'incidents dits de “tirs amis” le 7 octobre, au cours desquels les forces israéliennes ont tiré sur leurs propres citoyens.
Selon Ynet, l'armée estime toutefois qu'il ne serait pas moralement judicieux d'enquêter sur ces incidents.
En ce qui concerne Efrat Katz, l'armée [Tsahal] a déclaré :
“Après examen de l'incident décrit, aucune réponse ne peut être apportée avec certitude aux allégations de la famille à ce stade.”
À ce jour, il n'existe aucun chiffre exact ou officiel permettant de déterminer qui des 1 200 Israéliens et ressortissants étrangers dont Israël affirme qu'ils sont morts ce jour-là ont effectivement été tués par les forces israéliennes.
Il est possible que Katz, en tant que résident d'un kibboutz, ait été perçu comme un gauchiste - du moins en termes israéliens - et donc considéré comme quantité négligeable.
Vivre sur une terre volée
Bien que les sionistes aient présenté les kibboutzim au monde entier comme des fermes collectives idéales et socialistes, la réalité montre qu'il s'agissait de colonies de peuplement exclusivement juives, souvent construites sur des terres brutalement arrachées aux Palestiniens victimes d'un nettoyage ethnique.
Nir Oz et plusieurs autres colonies sionistes voisines ont été construites sur des terres appartenant à la famille Abu Sitta, dans une communauté appelée al-Main, jusqu'à ce qu'elle soit expulsée par les colons sionistes vers Gaza pendant la Nakba.
La plupart de ces colonies ont été établies en tant qu'avant-postes coloniaux ou garnisons militaires pour renforcer les conquêtes du nouvel État colonisateur sioniste.
Al-Main a été attaquée par les milices sionistes le 14 mai 1948. La Haganah [groupe armé sioniste de défense des colonies juives, créée au moment lors de la dissolution de la légion juive en 1919, devenue la base de l'armée de défense d'Israël]
“a détruit et brûlé des maisons, démoli l'école construite en 1920, fait sauter le puits et le moulin à farine”,
a écrit Salman Abu Sitta, géographe palestinien renommé et survivant de l'épuration ethnique.
“Quinze combattants palestiniens armés de vieux fusils leur ont opposé une courageuse résistance pendant plusieurs heures”, raconte M. Abu Sitta. “Enfant, j'ai vu les restes fumants de mon village alors que j'étais blotti avec d'autres enfants et femmes dans un ravin voisin. Je n'avais jamais vu de Juif auparavant et je ne savais pas qui étaient ces attaquants, ni pourquoi ils étaient venus détruire nos vies”.
C'est ainsi qu'a commencé la vie d'Abu Sitta en tant que réfugié.
Il y a cinq ans, De-Colonizer, un projet d'éducation sur la Nakba, a installé une exposition dans la dernière maison encore debout à al-Main et a invité les résidents israéliens des kibboutzim environnants à la visiter.
“Les commentaires les plus virulents, voire les menaces, sont venus d'un vieux kibboutznik de plus de 80 ans, qui a assisté et participé à l'attaque d'al-Main”, a observé Abu Sitta.
D'autres colons ont également exprimé leur colère, leur déni et leur défiance face à la réalité de leur présence sur des terres prises de force à des personnes vivant ensuite en tant que réfugiés, enfermées dans un ghetto à quelques kilomètres de là.
Mais de nombreuses personnes ayant visité l'exposition se sont montrées plus réceptives, l'une d'entre elles n'étant autre qu'Efrat Katz, une habitante de Nir Oz.
“Ce que j'ai vu ici aujourd'hui est très émouvant et même douloureux. Bien que je vive ici depuis plus de 35 ans, je ressens le besoin et l'espoir de retourner à la terre et de la faire revivre avec les émotions du passé, de la faire revivre avec la culture et les habitudes de vous, les résidents”, a déclaré Mme Katz dans une note manuscrite.
“Un territoire ne se limite pas à quelques briques. Une terre, c'est une valeur, ce sont des racines, c'est l'amour d'un lieu. Il n'y a pas à expulser et déporter qui que ce soit. Je suis de tout cœur avec vous.”
Le 7 octobre 2023, les petits-enfants et arrière-petits-enfants des Palestiniens expulsés en 1948 sont revenus sur leur terre, menant un assaut dévastateur contre les bases militaires et les colonies israéliennes qui avaient usurpé par la force leur place et la vie qu'ils auraient pu mener.
“J'aurais pu être l'un de ceux qui ont franchi la barrière si j'avais été beaucoup plus jeune, et si j'avais encore vécu dans le camp de concentration appelé la bande de Gaza”, a écrit en janvier Salman Abu Sitta, aujourd'hui âgé de 80 ans.
Efrat Katz est morte ce jour-là aux mains de ceux qui étaient censés la protéger.
Un crime qui n'a pas eu lieu
Les souvenirs de Shani Goren concernant sa capture le 7 octobre semblent incongrus par rapport aux allégations du gouvernement israélien selon lesquelles les combattants palestiniens auraient reçu l'ordre de leurs commandants de violer des Israéliennes pendant l'attaque.
Lorsque le kibboutz a été attaqué tôt le samedi matin, Mme Goren a suivi les conseils téléphoniques de son frère Amit et s'est barricadée dans sa chambre. Lorsque cinq combattants palestiniens sont arrivés et sont entrés dans sa chambre, ils l'ont trouvée presque sans vêtements.
“Je portais des sous-vêtements, mais pas de soutien-gorge, juste un débardeur, ce que je porte habituellement pour aller me coucher”, a déclaré Mme Goren à Dayan.
L'un des combattants a fouillé dans son armoire, en a sorti des vêtements pour qu’elle se couvre ses jambes et les lui a tendus. “Il m'a lancé des leggings”, s'est souvenue Mme Goren. Il m'a dit : “Habillez-vous”.
À ce moment-là, les combattants palestiniens contrôlaient entièrement le kibboutz Nir Oz.
“J'ai regardé de tous les côtés - ils étaient des milliers”, se souvient Goren. “Il n'y a personne d'autre. J'ai demandé : ‘Où est l'armée ?’”
Si les combattants palestiniens avaient vraiment reçu l'ordre de commettre des crimes sexuels ce jour-là, ils auraient pu violer Goren avec une facilité déconcertante. Au lieu de cela, ils l'ont emmenée dans le village, apparemment pour célébrer leur conquête du kibboutz.
Dayan, de Channel 12, l'a décrit comme “une sorte de parcours victorieux à travers les sentiers de Nir Oz”.
Pour se calmer, Goren a demandé une cigarette au chef des Palestiniens qui l'avaient enlevée. Il s'est alors approché d'un autre combattant, a pris une cigarette et l'a autorisée à la fumer. Au bout d'un moment, un autre combattant lui a crié dessus et elle a été obligée de l'éteindre.
Le fait qu'une Israélienne de 29 ans légèrement vêtue n'ait pas été agressée sexuellement alors que ses ravisseurs avaient largement la possibilité de le faire, ou pendant ses presque deux mois de captivité à Gaza, montre peut-être qu'aucun crime sexuel n'a été commis ailleurs sur le champ de bataille ce jour-là.
Mais il fournit un contexte supplémentaire pour évaluer les affirmations israéliennes - faites sur la base de comptes rendus démentis et discrédités, et présentées jusqu'à présent sans aucune preuve médico-légale ou témoignage direct - selon lesquelles ces crimes étaient systématiques, planifiés à l'avance et auraient été perpétrés sur l'ordre des commandants du Hamas “en tant qu'arme de guerre”.
À cet égard, les souvenirs de Goren peuvent être comparés à ceux de Yasmin Porat, l'une des deux seules Israéliennes à avoir survécu au bombardement de la maison ordonné par le général Barak Hiram au kibboutz Be'eri.
Dans une interview accordée à la radio publique israélienne en octobre, Yasmin Porat a raconté comment les dizaines de combattants palestiniens l'avaient traitée, elle et les autres civils qu'ils détenaient, “avec humanité”.
Elle a insisté sur le fait que les combattants avaient certes l'intention de “nous kidnapper pour nous emmener à Gaza, mais pas de nous assassiner”.
“C'était vraiment effrayant, mais personne ne nous a maltraités”, a déclaré Mme Porat. “Heureusement, il ne m'est rien arrivé de comparable à ce que j'ai pu entendre dans les médias”.
* David Sheen est l'auteur de Kahanism and American Politics : The Democratic Party's Decades-Long Courtship of Racist Fanatics.
* Transcription de la vidéo
Source de la vidéo : Channel 12 (Israël)
Nom du programme : Uvda
Date : 15 février 2024
Voix off : Il est 6h45 du matin, et il s'agit d'une émission spéciale d'information au lendemain d'une salve de missiles et de roquettes tirés sur le territoire israélien.
Shani Goren : J'ai appellé [mon frère] Amit et il m’a dit :
“Lève-toi, ferme la porte, ferme tout, ne sors pas de la maison. Relève la poignée de la chambre et ne bouge pas de là.”
Ilana Dayan [voix off] : Son frère Amit n'était pas à Nir Oz ce samedi-là. Sa sœur Shira était au kibboutz, tout comme sa grande amie Arbel Yahud, toujours chez elle à ce moment-là.
Shani Goren :
J'ai parlé avec Arbel, nous étions toutes les deux très stressées. Nous ne pouvions pas parler. Nous nous sommes dit que nous nous aimions. Nous espérions qu'ils ne nous atteindraient pas et qu'il ne se passerait rien.
Ilana Dayan [voix off] : À partir de ce moment-là, elle est restée en ligne avec la compagne de son frère pendant toute la durée de l'opération.
Shani Goren :
Nofar m'a appelée, j'ai parlé avec elle pendant deux heures.
Ilana Dayan : Vous êtes restées en ligne tout le temps ?
Shani Goren :
Oui, elle m'a dit plus tard que cela avait duré deux heures. De mon point de vue, cela faisait une demi-heure qu'on se parlait. Je lui ai dit : “J'ai peur” et elle m'a dit : “Respire.” Et soudain, il y a eu des bruits dans la maison. Je lui ai chuchoté : “Nofar, ils sont là ! Ils sont là !” Elle me dit : “D'accord, tais-toi. Respire. Je suis avec toi.” J'étais sous la couverture. Recroquevillée, j'essayais de rester près du placard, au cas où ils viendraient. Et puis la porte s'est ouverte sans bruit et ils ont lancé une grenade. Je lui dis : “Ils ont jeté quelque chose, ils ont jeté une grenade !” Heureusement pour moi, la grenade n'a pas explosé. Et après quelques secondes, ils sont entrés.
Ilana Dayan : C'était la pièce sécurisée, votre chambre.
Shani Goren :
Oui, c’est ça. Ils ont lancé la grenade et quatre d'entre eux sont entrés dans cette pièce.
Ilana Dayan : Et vous étiez toujours allongée ?
Shani Goren :
J'étais dans le lit, assis. Elle fait le mouvement [de croiser les bras pour former un X] - censé montrer qu’on est prisonnier. Je m'en suis rendu compte plus tard, lorsque je suis arrivé à Gaza. Le type qui se trouvait dans la maison où nous étions faisait le même mouvement. Je lui ai demandé : “Qu'est-ce que vous faites ? Qu'est-ce que ça veut dire ?” Il m'a dit : “Ça signifie être en captivité.” Je n'avais pas compris ce qu'ils attendaient de moi. J'ai donc résisté, et plus je résistais, ils s'approchaient de moi avec leurs armes.
Ilana Dayan : Vous aviez donc quatre canons braqués sur vous ?
Shani Goren :
Oui, et un des gars a commencé à vider mon armoire. À la fin, il m'a jeté des leggings. Il m'a dit : “Habillez-vous.” Parce que j’étais en sous-vêtements, pas de soutien-gorge, juste un top, ce que je porte habituellement au lit. Il m'a dit : “Habillez-vous” en me montrant mes tongs.
Ilana Dayan : Mon Dieu.
Shani Goren : Oui.
Ilana Dayan : Étaient-ils calmes ou nerveux ?
Shani Goren :
Ils étaient nerveux et stressés, mais ils ne se sont pas défoulés sur moi. Agité, l’un d’eux m'a arraché mon téléphone des mains et l'a empoché. Il a refait ce mouvement [croiser les bras pour former un X]. Chaque fois que je disais : “Non non non !”, ils pointaient leurs armes sur moi. Alors je les ai regardés en pleurant, effrayée, en les suppliant de me laisser la vie sauve. J'ai regardé l'arme la plus proche de moi. Puis celui qui a parlé avec moi a éloigné son arme. Et chaque fois qu'il a essayé de m’emmener, j'ai résisté. En fait, ils voulaient simplement me fait sortir.
Ilana Dayan : Avez-vous pu dire au revoir à quelqu'un ?
Shani Goren :
Non, je n'ai dit au revoir à personne. Je ne pensais pas que ce genre de chose pouvait arriver.
Ilana Dayan : Et qu'est-ce que cette pièce représente pour vous aujourd'hui ?
Shani Goren :
Elle est profanée - pour moi, c'est au-delà du possible.
Ilana Dayan : Ce n'est plus votre maison ?
Shani Goren : Non : Non. Ma maison s’est brisée le 7 octobre.
Ilana Dayan : Vous avez marché jusqu'ici.
Shani Goren :
Il m'a emmenée par là. Il m'a prise par la main et nous avons fait le tour. Nous avons marché afin qu'il puisse me montrer...
Ilana Dayan [voix off] : - pour lui montrer comment ils avaient conquis son kibboutz.
Shani Goren : Je regardais de tous les côtés - il y en avait des millions.
Ilana Dayan : Vous parlez des combattants ?
Shani Goren :
Oui, il n’y avait personne d'autre. J'ai demandé : “Où est l'armée ? Que se passe-t-il ?”
Ilana Dayan [voix off] : Elle est seule avec cinq Palestiniens qui l'emmènent dans une sorte de tour de piste victorieux à travers les chemins de Nir Oz.
Shani Goren :
Je voyais toute cette rangée de maisons incendiées. Il y en avait beaucoup d'autres.
Ilana Dayan : Beaucoup de combattants ?
Shani Goren : Oui.
Ilana Dayan : Et pendant ce temps, vous n'avez pas vu d'autres membres du kibboutz ?
Shani Goren :
Aucun, je n'ai vu qu'eux, partout, surgissant de toutes parts. Je ne me souviens pas où nous avons fini par arriver, mais il y avait quelqu'un d'autre. Je l'ai supplié : “Je voudrais une cigarette. Je n'arrive pas à respirer, je veux une cigarette.”
Ilana Dayan : Vous lui avez dit cela ?
Shani Goren :
Oui. Et il m'a dit : “Non, non, il n'y a pas de cigarettes.”
Ilana Dayan : Vous êtes incroyable.
Shani Goren :
Et il a fini par me donner une cigarette.
Ilana Dayan : Vous avez réussi à lui soutirer une cigarette ?
Shani Goren :
Oui, un groupe est passé, il a pris une cigarette à l'un d'entre eux et me l'a donnée. Après deux bouffées, un grand type barbu est arrivé et m'a crié de laisser tomber la cigarette.
Ilana Dayan : Plus de cigarette.
Shani Goren :
Voilà, plus de cigarette. À un moment donné, j'ai vu Doron et ses filles.
Ilana Dayan : Vous les avez vues avec des rebelles ?
Shani Goren : Oui.
Ilana Dayan : Doron est venue ici pour rendre visite à sa mère Efrat.
Shani Goren :
Oui, elle était venue rendre visite à sa mère.
Ilana Dayan : J'imagine que vous connaissez Efrat depuis de nombreuses années, c'est une ancienne.
Shani Goren :
Oui, Efrat est une voisine de ma mère. Doron aussi, je la connaissais mieux quand nous étions plus jeunes.
Ilana Dayan [voix off] : Pour la première fois, elle a vu un visage familier dans ce paysage d'enfer : Doron Katz et sa mère Efrat qui tient les deux petites filles de Doron.
Shani Goren :
Elle a crié : “Shani ! Shani !” Et je suis allée vers eux, ils m’ont laissée les rejoindre. Doron m’a dit : “Prends Raz avec toi pour soulager Efrat.”
Ilana Dayan : Raz est la plus âgée.
Shani Goren :
Oui, j'ai emmené Raz. Les filles paniquaient parce qu'elles ne savaient pas ce qui se passait. Devant nous, il y avait le vignoble, c'est là qu'ils nous ont rassemblés.
Ilana Dayan [voix off] : Ce n'est qu'en la voyant ici que nous pourrons peut-être commencer à comprendre ce qu'elle a vécu à ce moment-là, lorsque les chemins du kibboutz où elle est née et où elle a grandi deviennent le lieu d'où elle est enlevée pour Gaza.
Shani Goren :
Tout était en flammes. Tout au long du trajet, nous n’avons vu que des maisons brûlées.
Ilana Dayan : On les voit ici.
Shani Goren :
Oui. Ils nous ont rassemblés là, sur le chemin de terre. Un “tuk tuk” attendait sur la route.
Ilana Dayan [voix off] : Le véhicule qui s'approche d'eux est un quad qui tire un plateau et qui s'arrête à côté des Palestiniens. Ils ont l'intention d'y charger les captifs quand soudain, la sirène du code rouge a retenti.
Shani Goren :
Nous avons alors couru vers l'abri. Là aussi, quelques secondes se sont écoulées...
Ilana Dayan : Avec les rebelles ?
Shani Goren :
Oui, ils ont couru après nous. Avant même la fin du code rouge, ils nous ont dit : “Allez, allez.”
Ilana Dayan [voix off] : Elle est maintenant dans le “tuk tuk” à plateau avec Efrat, la fille d'Efrat, Doron, et les deux petites filles de Doron.
Shani Goren :
Nous étions assises dedans. Soudain, nous avons vu Neomit se faire emmener elle aussi. Ils l'ont fait monter avec nous.
Ilana Dayan [voix off] : Neomit Dekel-Chen, 63 ans, responsable de l'aménagement paysager à Nir Oz, est montée dans le véhicule. Quelques secondes plus tard, David Cunio et l'une de ses filles jumelles y sont également entraînés.
Shani Goren :
Ils ont essayé de faire démarrer le moteur. Soudain, nous avons vu Sharon se faire emmener avec deux autres personnes.
Ilana Dayan : La mère sans la deuxième fille ?
Shani Goren :
Sans la deuxième fille. Et David s'est écrié : “C'est ma femme ! C'est ma femme ! Attendez !” Ils l'ont embarquée elle aussi. Nous nous sommes assis sur le plateau. Les Palestiniens se sont assis sur les côtés, ils nous ont encerclés et nous avons commencé à rouler. J'essayais de rester concentrée pour les filles, de les calmer et de leur dire : “Ça va aller, ça va aller”.
Ilana Dayan : Mais intérieurement...
Shani Goren :
J'étais morte de peur, c'était le pire des cauchemars.
Ilana Dayan : Étiez-vous psychologiquement consciente ou détachée de la réalité ?
Shani Goren :
Détachée. Très détachée. Mon cœur battait à tout rompre, mais c'est comme si j'étais quelqu'un d'autre.
Ilana Dayan [voix off] : Ce qui va se passer à un autre moment n'a presque jamais été discuté jusqu'à présent. Les captifs sont déjà dans le véhicule, entourés de toutes parts et en route pour Gaza.
Shani Goren :
Nous sommes sortis, nous avons tourné à gauche, nous avons roulé...
Ilana Dayan : Sur ce chemin que nous voyons ici ?
Shani Goren :
Oui, nous avons roulé, puis nous avons tourné à droite. Et nous n'avons rien vu.
Ilana Dayan : Comment ça, vous n'avez rien vu ?
Shani Goren :
Rien, pas d'armée, nada, le vide total.
Ilana Dayan : Vous les attendiez toujours ?
Shani Goren :
Oui, on s'attend toujours à les voir.
Ilana Dayan [voix off] : Elle ne verra pas un seul soldat. Mais soudain, du ciel, un son se fait entendre et fait naître une lueur d'espoir.
Shani Goren :
150 mètres avant la frontière, nous avons entendu soudain un hélicoptère de combat dans le ciel.
Ilana Dayan [voix off] : L'hélicoptère de combat qui les survole voit depuis le cockpit ce qu'il n'aurait jamais pu imaginer : des flots de combattants et de civils israéliens emmenés en captivité à Gaza.
Ilana Dayan : L'hélicoptère vous a suivi pendant un bon moment ?
Shani Goren :
Je ne me souviens pas exactement de la durée, mais il était là. Nous nous sommes dit : “Bien, peut-être que l'armée est là. Il va peut-être se passer quelque chose.”
Ilana Dayan [voix off] : Et il s'est effectivement passé quelque chose du côté de l'hélicoptère, en l'espace de quelques minutes.
Shani Goren :
Soudain, une rafale de coups de feu a éclaté.
Ilana Dayan : Venant du ciel.
Shani Goren : Oui.
Ilana Dayan [voix off] : Il est maintenant 11h30. Le pilote de l'hélicoptère a pris une décision dans une situation quasi impossible. Il a fait feu sur le petit véhicule chargé de combattants, mais aussi de captifs israéliens.
Shani Goren :
C'était un moment terrifiant. Ça a duré quelques secondes. J'ai baissé la tête. J'ai réalisé que mon pantalon était déchiré et couvert de sang. J'ai levé la tête et j'ai vu des dominos.
Ilana Dayan : Qu'est-ce que vous voulez dire par là ?
Shani Goren :
Tous les Palestiniens étaient morts.
Ilana Dayan : Au moment où vous avez levé la tête ?
Shani Goren : Oui.
Ilana Dayan [voix off] : L'une des captives, la mère de Doron, est mortellement blessée par les tirs.
Shani Goren :
Malheureusement, Efrat Katz a été tué sur le coup.
Ilana Dayan : Avez-vous réussi à voir Efrat ?
Shani Goren : Oui.
Ilana Dayan : C'est l'un des souvenirs que vous essayez d'effacer ?
Shani Goren : Oui.
Ilana Dayan : Effacer.
Shani Goren : Effacer, oui.
Ilana Dayan : En pensant au pilote, que vous êtes-vous dit ?
Shani Goren :
Le pauvre. Je ne sais pas... Je ne l'envie vraiment pas. Il a pris une décision difficile. Mais il nous a presque sauvés.
Ilana Dayan : Presque.
Shani Goren :
Presque. Nous étions tous blessés, j'ai été touchée par des éclats de métal. Pendant une seconde, nous n'avons pas su quoi faire. J'ai pris Aviv dans mes bras.
Ilana Dayan : La petite ?
Shani Goren :
Oui. David [Cunio] a pris Yuli, leur fille. Neomit a pris Raz et nous avons couru jusqu'au champ.
Ilana Dayan : Jusqu'où pensez-vous avoir couru ? Combien de mètres ?
Shani Goren :
Je ne sais pas, pas trop, mais nous nous sommes éloignés. Nous avons couru, mais Doron est resté avec sa mère dans le camion.
Ilana Dayan : Parce que Doron n'a pas pu quitter sa mère ?
Shani Goren :
Non. Ce n'était pas un moment facile.
Ilana Dayan : En fait, Doron a déclaré dans une interview à Channel 12 News : “J'ai réalisé que je n'avais aucun moyen de l'aider, que je devais rester avec les filles. Alors, avec zéro énergie, tout en saignant, j'ai marché vers elles.”
Shani Goren :
Doron est venue vers nous, très pâle, saignant du dos. Sharon s'est levée pour l'aider. Pour l'amener jusqu'à nous. Neomit s'est allongée, Aviv était sur mes genoux. Aviv a été blessée. Un de ses orteils a été coupé en deux. J'ai enlevé ma chemise, je l'ai mise sur son pied.
Ilana Dayan : Une petite fille de 2 ans.
Shani Goren : Oui
Ilana Dayan [voix off] : Il est déjà un peu plus de 11h30. Les rebelles qui les ont capturés ont apparemment tous été tués. Sauf un [sic]. Shani et les autres sont toujours en territoire israélien, si près de Nir Oz.
Shani Goren :
Nous avons couru jusqu'au milieu du champ et nous nous sommes assis là, et avons regardé le ciel.
Ilana Dayan [voix off] : Et l'hélicoptère était toujours au-dessus d'eux. Mais il ne tire plus.
Shani Goren :
Si seulement il n'avait pas été à court de munitions.
Ilana Dayan : C'est ce qu'ils vous ont dit ? Qu'il n'avait plus de munitions ?
Shani Goren :
Je ne suis pas sûre que ce soit vrai, mais c'est ce qu'ils ont dit.
Ilana Dayan [voix off] : En cet après-midi de sabbat, au cœur de ce champ exposé, ils réalisent maintenant que personne ne les sauvera. Ils sont abandonnés à leur sort. Mais ils parviennent à prendre soin les uns des autres, même là.
Ilana Dayan : Dans tout ce chaos, l'idée de fuir vous a-t-elle traversé l'esprit ?
Shani Goren :
Cela m'a traversé l'esprit. David l'a également suggéré : “Peut-être qu'on pourrait se réfugier dans les buissons ?” Je me suis dit : Peut-être que je vais courir ? Puis je me suis dit : “Comment pourrais-je vraiment courir ? Je ne peux pas laisser les filles ici. Il n'y a aucun moyen de savoir ce qui va se passer. Doron étant blessée, qui va s'occuper d'elles ?”
Ilana Dayan : On dirait que vos facultés de décision sont toujours en éveil. Quel était le meilleur plan d'action ? Est-ce moral ? Est-elle possible ? C'est un travail de tous les instants !
Shani Goren :
Oui, mais il y a à la fois des choses qui fonctionnent et d'autres non. Et puis un autre véhicule est arrivé. Chargé de matériel divers. Un tracteur d'aménagement paysager du kibboutz.
Ilana Dayan : Vous saviez qu'il appartenait au kibboutz.
Shani Goren :
Oui. Neomit a dit : “Faites semblant d'être morts.” Mais nous ne pouvions pas vraiment faire semblant d'être morts parce que nous étions avec des enfants. Puis il s'est arrêté et nous a fait signe de venir, mais personne n'a bougé. Il s'est approché de nous, a pris Raz et a commencé à marcher. À la seconde même, nous nous sommes tous levés. Puis il nous a fait monter dans le camion. Ils ont enlevé le matériel et nous ont fait asseoir là.
Ilana Dayan [voix off] : Le tracteur transportant huit captifs roule déjà à toute allure vers Gaza, laissant derrière lui Neomit qui parvient à rester allongée sans bouger. Blessée et saignant, elle rampera jusqu'au kibboutz.
Shani Goren :
Nous avons continué à rouler, nous avons vu un char en flammes. Et plus aucune clôture. Et l'hélicoptère avait disparu. On ne l'a plus entendu ni revu.
Ilana Dayan : Et si vous rencontriez le pilote maintenant, que lui diriez-vous ?
Shani Goren :
Je lui dirais : “Merci - mais pourquoi n'êtes-vous pas resté ?”. Et aussi : “Pourquoi n'étiez-vous pas là, ici, pour abattre tout le monde ici ? Si un seul hélicoptère avait tiré, tout serait rentré dans l'ordre. Nous ne serions jamais arrivés à Gaza.”
[La vidéo est projetée sur un ordinateur portable]
Ilana Dayan : C'est Doron, n'est-ce pas ?
Shani Goren : Oui. Oui.
Ilana Dayan : Et là c'est vous.
Shani Goren : Oui, c'est moi.
Ilana Dayan : Et qui serrez-vous dans vos bras ?
Shani Goren :
Raz. J'essayais aussi de me cacher, d'être le moins visible possible à l'intérieur de la maison. À ce moment-là, j'avais peur que l'hélicoptère se remette à tirer, car cette fois-ci, mon dos était exposé. S'il avait à nouveau tiré, c'est moi qui mourais.