đâđš Une famille sĂ©parĂ©e pour panser ses plaies
Ma belle-sĆur optimiste Alaa a Ă©tĂ© retrouvĂ©e dans la maison du voisin, avec sa fille Iman d'environ un an dans les bras. Toutes deux ont Ă©tĂ© tuĂ©es. Son fils Ahmad, quatre ans, est mort avec elles.
đâđš Une famille sĂ©parĂ©e pour panser ses plaies
Par Rifqa Hijazi* pour The Electronic Intifada, le 18 septembre 2024
Le Dr Tasneem Abu Khater est dentiste et la sĆur d'une de mes amis proches, Raghad. Elle se trouve actuellement en Turquie, oĂč elle est soignĂ©e pour ses blessures. Voici l'histoire qu'elle m'a racontĂ©e.
Le 7 octobre 2023, j'Ă©tais chez mes parents avec mes petites filles, Hala, six mois, et Mira, 2 ans.
Je me suis réveillée au fracas des roquettes, j'avais peur, mais je voulais protéger mes filles. La famille a décidé d'évacuer vers le sud. Mon pÚre m'a dit d'aller dans la famille de mon mari à Nuseirat. Je lui ai dit que je ne l'abandonnerais pas, et j'ai insisté pour qu'il nous accompagne.
AprÚs de longues explications, il a accepté. Mon mari est venu lui aussi.
Mais le voyage a été dur. La vue des gens fuyant leurs maisons me faisait pleurer, me rappelant notre Nakba de 1948, et notre exil.
Les jours ont passé, et la peur s'est un peu atténuée dans le sud, encore épargné par la plupart des bombardements aveugles d'Israël à l'époque. Cependant, la nourriture a commencé à manquer et, Israël ayant coupé l'approvisionnement en carburant et en électricité, nous avons commencé à cuisiner avec du bois de chauffage.
Ă la maison, nous avons veillĂ© ensemble, nous rĂ©confortant mutuellement et commentant les Ă©vĂ©nements. Ma belle-sĆur Alaa Ă©tait la plus optimiste, lisant toujours les nouvelles concernant le cessez-le-feu.
Je me souviens du bombardement de l'hĂŽpital baptiste Al-Ahli, qui a fait des centaines de morts.
Nous pensions que cela provoquerait un tollé qui mettrait fin au génocide.
Nous nous sommes trompés.
La fin du monde
Dans la nuit du 27 octobre, je me suis rĂ©veillĂ©e Ă 23 heures, avec l'impression que le monde s'Ă©tait arrĂȘtĂ©.
Notre maison avait été touchée par une attaque israélienne. Je sentais mon ùme, mais pas mon corps.
Du sang suintait de ma jambe, et un os dépassait.
âJe m'en remets Ă Toi, ĂŽ Allah, mon destin est entre Tes mainsâ, ai-je pensĂ©.
J'ai commencé à chercher mes filles. J'ai vu mon bébé sous les décombres, son visage rayonnant malgré la poussiÚre. Je l'ai prise dans mes bras, puis j'ai vu mon autre fille venir à moi.
J'ai senti mon Ă©nergie revenir.
J'ai commencé à entendre des appels à l'aide, à sentir l'odeur déplaisante des explosifs et à entendre ma famille m'appeler ainsi que mon jumeau, Shahd.
Mes frÚres Muhammad et Ahmad sont arrivés, et je me suis sentie soulagée rien qu'en les voyant. Ahmad a pris mes filles et m'a dit de ne pas m'inquiéter.
Muhammad m'a soulevée, mais lorsqu'il a vu ma jambe, son visage s'est transformé. Il s'est mis à pleurer devant la gravité de la blessure.
Je n'ai ressenti aucune douleur. Je ne voyais que l'obscurité et les flammes. Les secours sont arrivés.
Ma belle-sĆur optimiste Alaa a Ă©tĂ© retrouvĂ©e dans la maison du voisin, avec sa fille Iman d'environ un an dans les bras. Toutes deux ont Ă©tĂ© tuĂ©es. Son fils Ahmad, quatre ans, est mort avec elles.
Les blessures des frĂšres et sĆurs et des parents de mon mari Ă©taient graves.
J'ai commencé à voir le visage d'Alaa parmi tous ceux qui m'entouraient.
Traitement médical
Lorsque je me suis réveillée à l'hÎpital Al-Aqsa, j'ai demandé si je pourrais marcher à nouveau avec cette jambe, reprendre le travail et m'occuper de mes filles.
Mon pĂšre et mon frĂšre Ahmad Ă©taient Ă mon chevet. Leurs yeux trahissaient leur tristesse et la peur.
J'avais de graves fractures à la jambe, au niveau de la cuisse et du genou. Ils ont fixé une plaque sur les fractures mais n'ont pas essayé de réparer les os car ils n'avaient pas de moyens, et l'hÎpital était soumis à de fortes pressions.
Hala a également été blessée à la cuisse. Ils ne m'ont pas dit la gravité de la blessure pour que je ne m'inquiÚte pas trop. Mais j'ai souffert en l'entendant pleurer de douleur.
D'autres membres de la famille ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s ailleurs, et Mira Ă©tait avec eux. Ma jeune sĆur Raghad Ă©tait comme une mĂšre pour elle. J'ai refusĂ© qu'elle vienne me rendre visite Ă l'hĂŽpital, ce qui m'a profondĂ©ment angoissĂ©e. Mais j'avais trĂšs peur qu'il lui arrive quelque chose en chemin.
Ahmad a essayĂ© de trouver une solution pour un traitement Ă l'Ă©tranger. Le 7 novembre, on m'a dit que j'irai en Ăgypte avec Ahmad pour escorte. J'avais peur de partir sans mes filles, mais mon pĂšre m'a rassurĂ©e en me disant qu'il fallait que j'aille me faire soigner.
Pendant mon traitement en Ăgypte, j'ai subi une intervention chirurgicale de dix heures. Lorsque je me suis rĂ©veillĂ©e, la douleur Ă©tait atroce. La nuit a Ă©tĂ© trĂšs longue.
J'ai pleurĂ© tous les jours Ă l'hĂŽpital, parce que mes filles me manquaient et jâai sombrĂ© dans une profonde dĂ©pression. Mais le personnel de l'hĂŽpital en Ăgypte a Ă©tĂ© comme une famille pour moi, et mon mĂ©decin a pris de mes nouvelles tous les jours.
Un jour, mon frĂšre m'a appelĂ©e pour me dire qu'une demande de traitement avait Ă©tĂ© faite pour Hala en Turquie, et que ma sĆur l'accompagnerait. J'ai Ă©tĂ© surprise que la blessure de Hala nĂ©cessite un transfert : je pensais sa blessure moins grave. J'Ă©tais trĂšs inquiĂšte, et j'ai demandĂ© au personnel mĂ©dical de pouvoir accompagner ma fille en Turquie.
Le lendemain, ma sĆur et Hala sont arrivĂ©es en Ăgypte. Je me sentais trĂšs bien, mais j'avais aussi la nostalgie de Mira, toujours Ă Gaza. Nous sommes restĂ©es en Ăgypte pendant une semaine, jusqu'Ă ce que l'on nous envoie en Turquie.
J'ai poursuivi mon traitement en Turquie et subi sept interventions chirurgicales à la jambe et à l'oreille, car la puissance de l'explosion a entraßné une hémorragie dans l'oreille. Je poursuis mon traitement à l'hÎpital en Turquie.
Connexions familiales
Je parle tous les jours Ă mon mari et ma fille Ă Gaza, je prends de leurs nouvelles et je prie pour eux. J'avais espĂ©rĂ© qu'il partirait avec dâautres blessĂ©s pour se faire soigner Ă l'Ă©tranger. Mais les choses ne se sont pas passĂ©es ainsi. Au lieu de cela, il a rĂ©ussi Ă obtenir un permis pour voyager avec Mira en Ăgypte, oĂč ils se trouvent tous les deux.
Depuis le 27 octobre, je n'ai pas pu voir ni prendre ma fille dans mes bras. Je pense à elle tous les jours et je m'inquiÚte pour elle. Ces dix mois sans elle ont été trÚs difficiles. J'ai peur qu'elle m'oublie.
Une fois, elle m'a demandé :
âMaman, pourquoi m'as-tu quittĂ©e ? Je suis fĂąchĂ©e contre toi.â
J'ai été choquée et attristée. Mais elle me dit aussi qu'elle m'attend tous les jours. Je prie Dieu pour que nous nous retrouvions au plus vite.
* Rifqa Hijazi est Ă©tudiante Ă Gaza.
https://electronicintifada.net/content/family-split-apart-heal-wounds/48846