👁🗨 Une pensée pour Julian Assange et son cinquième Noël derrière les barreaux
Tant d’irrégularités, l’espionnage d’Assange à l'ambassade, le complot pour l'enlever ou l'assassiner, le témoin admettant menti, devraient ôter toute légitimité aux poursuites engagées par les USA.
👁🗨 Une pensée pour Julian Assange et son cinquième Noël derrière les barreaux
Par Paul Gregoire, le 22 décembre 2023
Le journaliste et éditeur australien Julian Assange s'apprête à passer son cinquième Noël dans le tristement célèbre centre de haute sécurité de Belmarsh, à Londres, où le fondateur de WikiLeaks a été placé en détention provisoire au nom des États-Unis par le Royaume-Uni, alors que Washington plaide en faveur de son extradition.
La Maison Blanche envisage depuis longtemps de punir M. Assange pour avoir publié le contenu expurgé de milliers de câbles classifiés du gouvernement américain et de l'armée, transmis par Chelsea Manning, alors officier de l'armée, et dont une grande partie a révélé les crimes de guerre perpétrés par les États-Unis en Irak et en Afghanistan.
Les États-Unis ont d'abord accusé M. Assange d'un délit de piratage informatique, ce qu'il a nié, puis l'ont chargé de 17 autres chefs d'accusation au titre de la loi américaine sur l'espionnage de 1917. Cet acte d'accusation a ensuite été remplacé par un acte d'accusation de juin 2020 de la cour de district de Virginie orientale, assorti d'une peine d'emprisonnement de 175 ans.
Les anomalies liées à l'extradition d'Assange sont nombreuses. La plus importante est peut-être le fait que les États-Unis ont fait valoir leur extraterritorialité en franchissant les frontières pour arrêter un ressortissant étranger pratiquant une activité journalistique normale, qu'ils tentent de criminaliser en vertu de leur droit national.
En effet, un procès gagné contre le natif de Townsville aura un effet dissuasif sur les libertés de la presse dans le monde, car le précédent établi permettra aux nations d'arrêter des étrangers aux quatre coins de la planète, s'il s'avère qu'ils ont publié des informations défavorables sur leur pays.
En cette période de fêtes de fin d'année, la High Court britannique a confirmé cette semaine que les audiences consacrées au recours du journaliste contre l’extradition auront lieu les 20 et 21 février 2024. Il s'agira d'audiences publiques au cours de laquelle deux juges détermineront si le journaliste peut à nouveau saisir la justice britannique, ou s'il doit être renvoyé aux États-Unis.
Une peine longue durée
“Il s'agit peut-être de la dernière chance d'empêcher l'extradition de Julian vers les États-Unis. S'il est extradé, Julian risque une peine de 175 ans pour avoir dénoncé les crimes de guerre commis par les États-Unis lors des guerres d'Afghanistan et d'Irak”,
a déclaré Jodie Sard, porte-parole de la campagne Assange, dans un communiqué publié le 20 décembre.
Selon le communiqué de presse, l'appel de février déterminera s'il est en accord avec la décision de juin 2023 du juge Jonathan Swift, qui a estimé que Julian ne pouvait plus faire appel de la décision de Priti Patel, alors ministre de l'intérieur du Royaume-Uni de donner le feu vert à l'extradition en juin 2022.
Le tribunal de district britannique s'est d'abord prononcé contre l'extradition en janvier 2020, sur la base d'une évaluation psychologique selon laquelle Julian Assange présenterait un risque de suicide grave s'il était envoyé aux États-Unis pour y être jugé.
La décision de la juge Vanessa Baraitser impliquait la perspective que M. Assange soit soumis à des mesures administratives spéciales (SAMs) dans le système pénitentiaire américain, avant et après le procès, un régime si extrême dans ses conditions d'isolement que l'Australien y mettrait probablement fin à ses jours.
Doctors for Assange a écrit à plusieurs reprises aux dirigeants australiens et britanniques pour les avertir que s'ils ne libéraient pas Julian, ils mettraient probablement fin à ses jours. Son père, John Shipton, a déclaré il y a quinze jours à Sydney Criminals Lawyers qu'il se portait “comme on peut s'y attendre dans de telles circonstances”.
La décision de Baraitser a ensuite été annulée par la High Court du Royaume-Uni en décembre 2021, au motif que les États-Unis avaient depuis donné à la Cour la garantie que Julian ne serait pas soumis aux SAMS durant sa détention aux États-Unis, à moins qu'il ne commette un nouvel acte le justifiant.
"Ce n'est pas suffisant”
“Ce Noël sera le cinquième que Julian passera dans une prison britannique. Il a traversé des années d'incertitude, sa santé mentale et physique ne cessent de se dégrader”, a déclaré Gabriel Shipton, le frère de Julian. “Il devrait pouvoir rentrer en Australie avec ses enfants, et recevoir le soutien dont il a besoin.”
Dans le communiqué de presse, Gabriel Shipton souligne que l'audience de deux jours prévue en février marque une “étape cruciale” dans le combat de son frère pour la justice, et il ajoute qu'il demande instamment au premier ministre Anthony Albanese “de tout mettre en œuvre pour mettre un terme aux souffrances de Julian”.
Pour sa part, M. Albanese a exprimé pour la première fois son opinion sur l'affaire Assange, à savoir que “Trop, c'est trop” et qu'il fallait y mettre un terme, alors qu'il était dans l'opposition en 2021. Mais depuis son élection en mai 2022, le Premier ministre n'a fait que réitérer cette position, au point qu'elle est devenue une politique officieuse.
Pourtant, la ministre des affaires étrangères, Penny Wong, a laissé entendre au cours du premier semestre de cette année que son gouvernement avait fait tout ce qu'il pouvait pour Assange, car il n'est pas question d'intervenir dans les “procédures juridiques ou judiciaires d'un pays tiers”. Le secrétaire d'État américain Anthony Blinken a d'ailleurs soutenu Mme Wong sur ce point en juillet de façon très inquiétante.
Le sénateur des Verts David Shoebridge a toutefois récemment affirmé, lors d'une manifestation devant le bureau du Premier ministre à Marrickville, qu'il ne suffisait pas au gouvernement Albanese de se contenter de “répéter inlassablement le mantra selon lequel cela a trop duré”.
Le porte-parole des Verts australiens pour la justice estime plutôt que les travaillistes fédéraux pourraient adresser à Washington une pétition plus déterminée, avec des exigences qui ont réellement du poids, comme demander la libération du fondateur de WikiLeaks ou interrompre les négociations sur l'accord AUKUS jusqu'à ce que cela se produise.
Le sénateur écologiste David Shoebridge a déclaré à la foule devant le bureau du Premier ministre à Marrickville que le gouvernement pourrait être plus déterminé dans ses négociations pour la libération d'Assange.
Des manœuvres extralégales
“Les quatre dernières années et demie ont fait payer un lourd tribut à Julian et à sa famille, y compris à nos deux jeunes fils”, a déclaré Stella Assange, l'épouse de Julian, dans le cadre du communiqué de presse commun. “Sa santé mentale et son état physique se sont considérablement détériorés.”
L'avocate britannique spécialisée dans la défense des droits de l'homme a en outre déclaré qu'une “myriade de preuves ont été révélées depuis l'audience initiale de 2019”, mettant en doute la légitimité des poursuites engagées par les États-Unis à l'encontre de son mari.
Parmi ces irrégularités, on peut citer le fait que les États-Unis ont espionné Assange dans l'ambassade alors qu'il consultait ses avocats, en violation du secret professionnel, des révélations concernant un complot de l'ère Trump visant à l'enlever ou à l'assassiner, tandis qu'un autre témoin a admis avoir fourni de fausses preuves.
Les analystes juridiques ont depuis longtemps commenté les écarts flagrants entre le dossier des États-Unis et celui du Royaume-Uni contre l'éditeur, et son recours éhonté à des mesures extralégales au regard des événements survenus à une plus grande échelle en termes d'opérations israéliennes et de soutien à ces opérations à Gaza.
“Il est indéniable qu'un procès équitable, sans parler de la sécurité de Julian sur le sol américain, relève de l'impossible s'il devait être extradé”, a encore assuré Mme Stella. “La persécution de ce journaliste et éditeur innocent doit cesser.”
* Paul Gregoire est un journaliste et écrivain basé à Sydney. Il est le lauréat du prix 2021 du Conseil des libertés civiles de la Nouvelle-Galles du Sud pour l'excellence dans le journalisme sur les libertés civiles. Avant de rejoindre Sydney Criminal Lawyers®, Paul a écrit pour VICE et a été rédacteur en chef du City Hub de Sydney.