👁🗨 Vadim Kamenka: Julian Assange a été puni afin que personne ne fasse comme lui.
La procédure d'Assange a introduit un nouveau paradigme, à savoir que les frontières n'existent plus. Seul le pouvoir compte & un État peut désormais décider si un journaliste peut publier librement.
“JULIAN ASSANGE A ETE PUNI AFIN QUE PERSONNE N'OSE FAIRE COMME LUI”
📰 Par Vadim Kamenka pour L’humanité Magazine, le 24 novembre 2022
La procédure contre Assange a introduit un nouveau paradigme, à savoir que les frontières n'existent plus. Seul le pouvoir compte, et un État peut désormais décider si un journaliste peut publier librement.
Depuis 2010, le journaliste australien est injustement privé de liberté, dans l'attente d'une extradition vers les États-Unis où il risque une peine de 175 années de prison. Stella Assange, sa compagne et ancienne avocate, coordonne le combat pour sa libération. Elle appelle la France à lui accorder le droit d'asile.
Née en Afrique du Sud sous le nom de Sara Gonzales, avocate internationale et désormais mariée au cofondateur de Wikileaks en 2022, Stella Assange se bat contre l'extradition du journaliste aux Etats-Unis. Une décision que la Grande-Bretagne, où il est emprisonné depuis 2019, à Belmarsh près de Londres, a validée en juin dernier. Julian Assange est poursulvi par Washington pour «espionnage» et «conspiration», et risque 175 ans de prison. Son délit? La diffusion, en 2010, de 700000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques états-uniennes en Irak et en Afghamistan. Car, ces révélations pointaient des crimes de guerre. La Haute Cour britannique doit statuer dans les prochaines semaines sur la validité de l'appel porté par Julian Assange.
Au bout dune décennie sans liberté, comment se porte Julian Assange?
La vie de Julian Assange, détenu dans une prison de haute sécurité à Belmarsh depuis plus de trois ans (depuis avril 2019 - NDLR), est un enfer au quotidien. Il passe vingt heures par jour isolé dans sa cellule alors qu'il n'a jamais été condamné. Chaque jour est un combat pour sa santé physique et mentale dans un environnement déprimant. Son état est surtout inquiétant depuis son mini-AVC, il y a tout juste un an, lors de sa comparution en appel. Entre sa mise en résidence surveillée et son refuge a l'ambassade d'Equateur, Julian se trouve privé de liberté depuis 2010. Il faut se rendre compte de l'impact sur sa santé, qui décline fortement avec le temps. Etant donné son état, la nécessité de pratiquer de l'activité physique est réelle, mais il n'en a toujours pas obtenu l'autorisation. Pourtant, le fondateur de WikiLeaks doit livrer une bataille titanesque face à la première puissance mondiale, en étant pieds et poings liés. Julian a seulement le droit de voir ses enfants (âgés de 5 et 3 ans - NDLR) et moi-même deux fois par semaine pendant une heure et demie. Il peut également nous appeler.
Les avocats de Julian Assange ont déposé un appel auprès de la Haute Cour du Royaume-Uni contre son extradition vers les Etats-Unis signée par l'ex-ministre de l'Intérieur Priti Patel, en juin. Qu'en est-il?
Pour le moment, nous attendons que la Haute Cour nous dise quand une audience pourrait intervenir. Celle-ci devrait valider ou non cette nouvelle procédure au mois de décembre. Mais comme elle n'a aucune obligation de l'accepter, elle peut émettre son avis plus tard et faire trainer l'affaire. Il faut rester optimiste et j'espère que la Haute Cour corrigera l'injustice. J'ai toutefois des doutes. Si son cas n'était pas politique, Julian Assange aurait déjà gagné. La justice britannique a failli à son devoir d'indépendance et à garantir un procès équitable. L'issue de cette procédure se jouera devant la Cour européenne des droits de l'homme (Cedh), même si les autorités britanniques et le gouvernement essayent de se retirer du système judiciaire européen et de la Cedh. Cela pourrait supprimer la dernière possibilité d'appel, la dernière garantie pour les personnes dont les droits sont bafoués, au sein de l'espace européen du Conseil de l'Europe.
L'appel que vous avez déposé porte sur le caractère abusif et politique de la procédure lancée par les autorités états-uniennes et britanniques. Est-ce un tournant au vu des premières audiences, qui portaient sur l'aspect administratif ?
Cet appel vise à mettre en lumière les motivations politiques de la procédure et les abus monstrueux auxquels ont eu recours les États-Unis pour faire emprisonner indéfiniment un journaliste pour ce qu'il a publié. Je rappelle qu'il risque 175 années de prison aux États-Unis pour «espionnage» et «conspiration» après la divulgation en 2010 des documents sur la guerre en Irak et en Afghanistan (1), relayés par plusieurs journaux dont le «Guardian» et le «New York Times». L'appel pourrait enfin s'attarder sur les publications de Julian Assange qui embarrassent le gouvernement des États-Unis. Car il a révélé des crimes, demeurés volontairement secrets comme à Bagdad en 2007 (raid aérien sur des civils) ou à la prison de Guantanamo avec des actes de torture. Il a été puni afin que personne d'autre n'ose faire la même chose. Depuis que Julian Assange a été placé en détention à Belmarsh, de nombreux abus ont été révélés à son encontre au cours de la procédure. Le plus criminel a eu lieu durant le mandat de l'ex-président Donald Trump. À l'époque, le directeur de l'agence de renseignement américaine CIA, Mike Pompeo, n'a pas hésité à planifier l'assassinat du journaliste, qui se trouvait réfugié dans l'ambassade d'Équateur. Comment peut-on décider de l'extradition d'un journaliste dans un pays qui a projeté de le tuer?
En quoi le combat de Julian Assange est-il l'affaire de tous les citoyens et des journalistes?
Pour commencer, il n'a rien à voir avec les États-Unis. Il ne s'agit pas d'un citoyen américain, il est australien. La seule chose que WikiLeaks et Julian ont faite, c'est de publier des documents relatifs aux crimes de guerre commis par ce pays en Irak et en Afghanistan. Au moment de ces révélations, il se trouvait en Grande-Bretagne. La procédure intentée contre lui a introduit un nouveau paradigme, à savoir que les frontières n'existent plus. Seul le pouvoir compte, et un État peut désormais imposer sa volonté à un autre. Pire, il décide si un journaliste peut publier librement ses informations. Dans le cas de Julian, les États-Unis sont la superpuissance et le Royaume-Uni leur complice consentant. Cette affaire illustre le mépris pour le droit et la souveraineté d'un autre Etat. S'ils agissent comme cela avec un journaliste, ils peuvent le faire avec d'autres. Mais d'autres États peuvent désormais utiliser ces mêmes paradigmes pour s'attaquer à la liberté de publication des jour- nalistes, notamment les enquêtes qui dérangent.
Ressentez-vous davantage de médiatisation et de solidarité pour le combat que mène Julian Assange et son entourage pour sa libération?
Avec WikiLeaks, ils ont subi une propagande intense à leur encontre. Mais elle a pratiquement disparu. Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, vient de publier un livre ou il a réduit à néant les accusations portées contre Julian Assange (2). C'est un ouvrage de la même portée que le «J'accuse » de Zola. Hélas, il n'a pas encore un écho médiatique important. Un documentaire, « Hacking Justice» (3), est également sorti sur cette affaire. À Londres, le 8 octobre, l'immense chaîne humaine autour du Parlement britannique de Westminster a été une réussite. Une telle manifestation n'aurait jamais été possible quelques années auparavant. La solidarité pour Julian a gagné en importance et le silence qui entourait l'affaire à ses débuts commence à se briser. Dans une décennie, je suis convaincue que cette procédure apparaîtra comme la plus grave et la plus énorme persécution politique de notre époque.
L'asile politique en France est-il une solution ?
Cette affaire ayant un caractère politique avéré, il est nécessaire que l'information passe en Europe et principalement en France, un pays dont le poids politique est reconnu comme leader d'opinion sur ces questions. Dans ce cadre, il est essentiel que les parlementaires en France prennent position publiquement et fassent pression pour sa libération. La question d'accorder l'asile politique en France relève des compétences du président de la République. C'est une décision politique. A mes yeux, Julian mériterait de se voir décerner le titre de citoyen d'honneur du fait des révélations de WikiLeaks sur des sujets d'intérêt national. En 2015, le site avait publié sept document top-secret détaillant comment les Etats-Unis (NSA, CIA, gouvernement) ont, depuis 2002, systématiquement espionné les intérêts économiques de la France. Certains des documents sont partagés avec les partenaires « Five Eyes», ce groupe d'Etats anglophones qui coopèrent étroitement avec le cinquième, Washington (Canada, Nouvelle- Zélande, Australie et Royaume-Uni). Ces écoutes ont visé directement l'Elysée (Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande), des ministres, des sénateurs, des hauts fonctionnaires, l'ambassadeur français aux États-Unis. Pour toutes ces raisons, le fait de lui accorder ce titre serait totalement fondé.
(1) Le 12 juillet 2007, à Bagdad, un hélicoptère apache de la coalition américano-britannique ouvre le feu sur des civils, faisant près de 20 morts. Une vidéo « Collateral Murders » a été rendue publique par WikiLeaks.
(2) « L'Affaire Assange. Histoire d'une persécution politique», Nils Melzer, éditions Critiques, septembre 2022.
(3) « Hacking Justice. Julian Assange », film réalisé par Clara López Rubio et Juan Pancorbo,2021, les Mutins de Pangée.
https://liseusepvsla.humanite.fr/fr/pvPageH5B.asp?puc=7760&nu=832#14