👁🗨 Valdaï & le “problème américain” en Asie de l’Ouest
Alors que Trump se déchaîne avec ses spoliations de terres dans le monde, les visionnaires multipolaires à Valdaï tracent les axes réels & tangibles de la géopolitique & la géoéconomie de ce siècle.
👁🗨 Valdaï & le “problème américain” en Asie de l’Ouest
Par Pepe Escobar, le 7 février 2025
Moscou - La 14è Conférence sur le Moyen-Orient du Club Valdaï de Moscou a été frappée par une bombe géopolitique au beau milieu des débats : l'annonce, par le président américain Donald Trump lui-même, d'une sorte de futur complexe Riviera Resort et Casino de Trump Gaza en Palestine.
Avant même que la vague d'indignation internationale ne déferle, du front des BRICS à l'ASEAN en passant par le monde arabe (qui y voit une Nakba 2.0), atteignant même l'Arabie saoudite favorable à Trump et les principaux alliés des États-Unis en Europe, la perplexité s'est installée à Valdaï chez la plupart des chercheurs et des universitaires.
Deux exceptions cependant, personnifiées par le professeur de l'université de Téhéran Mohammad Marandi et l'ancien diplomate britannique Alastair Crooke - analystes toujours finement nuancés de l'Asie de l'Ouest. Tous deux affirment depuis longtemps que l'empire américain, acculé au repli, va devenir de plus en plus brutal et prendre de plus en plus de risques.
M. Marandi qualifie Trump de “cadeau” du déclin mondial américain. M. Crooke, quant à lui, se demande si le Premier ministre israélien d'extrême droite Benjamin Netanyahu a réellement piégé Trump dans un bourbier - alors que c'est peut-être l'inverse qui s'est produit. Trump semble maintenant tenir Netanyahu - qu'il méprise fondamentalement - exactement là où il veut en venir : obtenir des faveurs.
Trump a fait beaucoup de promesses grandiloquentes, que Netanyahu peut vendre comme une réussite majeure aux bellicistes de Tel-Aviv qui composent son gouvernement. Sa coalition tiendra donc - pour l'instant. Pourtant, en contrepartie, Israël va devoir respecter les prochaines étapes du détestable projet de cessez-le-feu. Qui devrait théoriquement déboucher sur la fin de la guerre. Netanyahu veut une Guerre Infinie, avec une expansion et une annexion sans limites d'Israël. Mais ce n'est pas une affaire réglée, loin s'en faut.
En l'état, à vue de nez, Trump a d'un coup d'un seul normalisé le génocide, le nettoyage ethnique, et réduit la tragédie de Gaza à une sordide opération immobilière sur un “emplacement phénoménal”. L'effet cumulé de “les États-Unis vont s'emparer de la bande de Gaza”, “nous allons la posséder” et “... niveler le site” ne se contente pas de pousser les États-Unis à une annexion étrangère scandaleusement illégale , mais relève du trope embarrassant et passéiste d’un “il n'y a pas de Palestiniens” dopé aux stéroïdes.
Mais c'est loin d'être de la “folie pure”, comme le prétendent les think tanks américains partout dans le monde. Il s'agit simplement d'une étape naturelle après la tentative d'achat du Groenland, d'annexion du Canada (dans les deux cas, il s'agit d'une augmentation du volume des ressources américaines), de la saisie du canal de Panama et la nouvelle dénomination de “Golfe du Mexique” en “Golfe de l'Amérique”.
Au lieu de s'attaquer à la véritable menace qui pèse sur l'Empire, à savoir le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, on change de sujet et de discours.
Dans ce cas, la nouvelle Riviera de Gaza construite sur une pyramide de crânes est non seulement cautionnée, mais d'ores et déjà envisagée par les génocidaires de Tel-Aviv en tandem avec les donateurs milliardaires de Trump, maillon clé du lobby israélien aux États-Unis.
La vision de Trump, selon des initiés new-yorkais, est venue de son gendre Jared Kushner, qui, il y a moins d'un an, parlait déjà de l'or immobilier que représente le rivage de Gaza. Kushner est encore plus dangereux maintenant qu'il agit en coulisses au cours du second mandat de Trump : il est le principal influenceur de POTUS [President Of The United States] concernant une potentielle et future occupation de Gaza sanctionnée par les États-Unis.
Pour l'instant, on assiste à un show de télé-réalité ‘déportation-construction-vente’ appliqué au problème le plus insoluble de l'Asie de l'Ouest. M. Marandi l'appelle le “problème États-Unis-Israël”. Taha Ozhan, de l'Institut d'Ankara, le qualifie d'“ordre centré sur Israël” et de “problème américain”.
Changement de régime mondial
Les discussions à Valdaï, bien entendu, ont extrapolé la bombe de Trump à Gaza. M. Ozhan s'est concentré sur l'“immense épreuve de stress” subie par l'Asie occidentale - du génocide à Gaza au “Assad doit partir” qui se métastase en Al-Qaïda en costume au pouvoir à Damas. Il prévient que le chaos mondial actuel pourrait engendrer de nouvelles guerres : nous vivons actuellement un processus de “changement de régime mondial”, où “l'instabilité permanente est révolue”.
Les Palestiniens, par l'intermédiaire du ministre du Développement social de l'OLP, Ahmad Majdalani, n'ont pas été très encourageants. Le ministre a ressassé les sujets de discussion habituels, tels que le problème de la
“normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël sur fond d'annexion de la Cisjordanie”, alors que “les autres nations musulmanes se contentent d'observer la situation depuis les coulisses”.
M. Majdalani s'est également demandé si “les BRICS seront en mesure de constituer un contrepoids efficace” au “problème américain”, tel que défini par M. Ozhan. Mais sur la question épineuse de l'unité palestinienne, il n'a rien proposé de nouveau et a continué à se plaindre des accords d'Abraham, impossibles à mettre en œuvre sans le peuple palestinien.
L'éminent Vitaly Naumkin, président de l'Institut d'études orientales de l'Académie russe des sciences, a publié un excellent dossier sur la Syrie, coécrit avec Vasily Kuznetsov, également de l'Institut d'études orientales.
S'ils soulignent que la chute de l'ancien président syrien de longue date Bachar el-Assad représente une “fenêtre d'opportunité” pour Israël, la Turquie et les monarchies du Golfe, ils font la part des choses.
Qu'est-ce qu'Israël prépare réellement ? Établir un contrôle direct sur certains territoires (lesquels exactement ?) ou créer une large zone tampon ?
Concernant la Turquie,
“l'intérêt d'Ankara à infliger une défaite stratégique aux Kurdes et à éventuellement créer une zone tampon le long de la frontière turco-syrienne est prévisible”.
Ce qui est moins clair, c'est “le degré des engagements [américains] à investir dans les Kurdes” sous Trump.
Quant aux monarchies du Golfe,
“elles renforceront leur position avant tout en recourant au levier économique”. Pourtant, “les intérêts de plusieurs pays du CCG varient, et leur alignement n'est pas toujours limpide”.
Concernant l'Iran, M. Naumkin et M. Kuznetsov soulignent avec réalisme que si la nouvelle configuration syrienne, anciennement radicale,
“ne parvient pas à consolider le pays” - hypothèse très probable - “l'Iran aura peut-être une nouvelle chance de restaurer son influence”.
Pour M. Naumkin, les bases russes en Syrie “devraient rester en place” - un sujet qui, soit dit en passant, suscite de vifs débats dans les couloirs du pouvoir moscovite. Il défend cette position principalement parce que la Russie
“pourrait contrebalancer les visées expansionnistes de certaines factions turques dans le nord de la Syrie”.
Corridor-mania
Même si le partenariat stratégique Russie-Iran récemment signé n'a pas été spécifiquement discuté à Valdaï, M. Marandi a noté que
“l'Iran progresse très vite sur ce qui doit être réalisé, pour rapprocher l'Inde sur un plan économique”.
Le cœur du problème de l'accord entre la Russie et l'Iran n'est pas militaire : il est géoéconomique, centré sur le corridor international de transport nord-sud (INSTC), un projet clé de connectivité pour l'intégration Eurasie/BRICS.
L'INSTC est un accélérateur de facto du commerce entre la Russie, l'Iran et l'Inde, principaux membres des BRICS, voué à augmenter le nombre de transactions dans leurs propres monnaies : c'est précisément le type de mécanisme qui a conduit Trump - à tort - à “accuser” les BRICS d'essayer de créer leur propre monnaie. La Russie et l'Iran, tous deux lourdement sanctionnés, commercent déjà largement en roubles et en rials.
Sur un front géoéconomique plus large, la contribution la plus stimulante à Valdaï a sans doute été apportée par Elchin Aghajanov, directeur du Baku International Policy and Security Network (Réseau international pour la politique et la sécurité de Bakou). Cette bouffée d'air frais en provenance du Sud-Caucase tranchait singulièrement avec les sinistres ouragans géopolitiques qui menacent l'Asie de l'Ouest.
M. Aghajanov a mis l'accent sur la souveraineté de l'Azerbaïdjan, contre l'hégémonie, tout en reconnaissant les “aspirations géostratégiques de l'Occident”. Il a décrit l'Azerbaïdjan comme un “carrefour de couloirs de transports”, pas moins de 13, l'amenant à inventer ce beau “Corridor-mania”. Tout au long de l'histoire, le Sud-Caucase a toujours été une plaque tournante géoéconomique de l'Eurasie.
La “Corridor-mania” englobe tous les projets, du TRACECA au Corridor central chinois, en passant par le Transcaspien et l'INSTC, sans oublier le très controversé corridor de Zangezur - soutenu par l'Occident - qui devrait traverser 40 km de territoire arménien, à la frontière de l'Iran. Le Zangezur serait relié aux différentes ramifications des nouvelles routes de la soie, du Xinjiang et de l'Asie centrale jusqu'à la Turquie, ainsi qu'à la route transcaspienne.
M. Aghajanov a souligné qu'avec Zangezur, l'Azerbaïdjan n'a aucunement l'intention d'annexer des terres arméniennes. Bakou souhaite également que ses activités soient reliées à l'Iran par l'intermédiaire d'une liaison Iran-Arménie. Selon Téhéran, tant qu'il n'y a pas d'annexion - et dans ce cas, la meilleure option serait de passer sous terre - le couloir peut être mis en place. M. Aghajanov a fait référence à la liaison entre l'Azerbaïdjan et l'Iran à travers la rivière Aras : “Le défunt président [iranien] Ebrahim Raisi en était un fervent soutien”.
M. Aghajanov a également souligné que si l'Azerbaïdjan est “un allié naturel de la Turquie et du Pakistan”, il devrait en être de même pour l'Iran, où vivent au moins 13 millions d'Azéris.
Il définit la Russie comme un “partenaire stratégique naturel”. Il fait également l'éloge d'un couloir situé tout au nord, la route maritime du Nord :
“Le chemin le plus court entre New York et la Chine passe par Mourmansk. Et le chemin le plus court entre le Brésil et la Chine passe par Saint-Pétersbourg”.
Alors que les chiens de la guerre continuent d'aboyer, la Corridor-mania continue de faire son chemin. Mais avant tout, l'Asie occidentale a vraiment besoin d'enterrer la ridicule vision trumpienne d'une Riviera à Gaza.
https://thecradle.co/articles/in-valdai-confronting-the-american-problem-in-west-asia