👁🗨 Vijay Prashad : La sauvagerie de la guerre contre le peuple palestinien
En 1950, les renseignements israéliens ont décrété les réfugiés de Gaza “condamnés à l'extinction totale”. Les enfants se blottissent dans le noir, attendant la fin, la gorge sèche & le ventre creux.
👁🗨 La sauvagerie de la guerre contre le peuple palestinien
Par Vijay Prashad, le 13 octobre 2023
Les enfants se blottissent dans leur chambre en attendant les bombes, dans le noir sans l'électricité, attendant la fin, la gorge sèche et le ventre creux.
Qui sait combien de civils palestiniens seront tués au moment où cet article sera publié ? Parmi les corps qui ne pourront pas être transportés à l'hôpital ou à la morgue, parce qu'il n'y aura ni essence ni électricité, se trouveront un grand nombre d'enfants. Ils se seront cachés dans leurs maisons, écoutant le bruit des bombardiers israéliens F-16 qui se rapprochent, les explosions avançant vers eux, tel un essaim de fourmis rouges à leur poursuite. Ils se seront bouché les oreilles avec leurs mains, accroupis avec leurs parents dans l'obscurité de leur salon, attendant, attendant la bombe inéluctable qui frappera leur maison. Le temps que les secouristes les trouvent sous les montagnes de décombres, leurs corps se seront décomposés, leurs familles auront pleuré en déterrant des vêtements familiers ou des objets personnels. Tel est le supplice des Palestiniens qui vivent à Gaza.
Un de mes amis à Gaza, qui a un enfant de 17 ans, m'a dit, la première nuit de cette récente vague de bombardements israéliens, que son enfant avait vécu au moins dix grandes attaques israéliennes contre les Palestiniens de Gaza. Tout en parlant, nous avons dressé une liste de certaines des attaques dont nous nous souvenions (comme il s'agit de guerres menées par Israël, nous utilisons les noms donnés par l'armée israélienne à ses attaques contre Gaza) :
Opération “Summer Rains” (juin 2006)
Opération “Autumn Clouds” (octobre-novembre 2006)
Opération “Hot Winter” (février-mars 2008)
Opération “Cast Lead” (décembre 2008-janvier 2009)
Opération “Running Echo” (mars 2012)
Opération “Pillar of Cloud” (novembre 2012)
Opération “Protective Edge” (juillet-août 2014)
Opération “Black Belt” (novembre 2019)
Opération “Breaking Dawn” (août 2022)
Opération “Shield and Arrow” (mai 2023)
Chacune de ces attaques pulvérise l'infrastructure minimale restée intacte à Gaza et frappe très durement les civils palestiniens. Les morts et les blessés civils sont enregistrés par le ministère de la santé à Gaza, mais ignorés des Israéliens et de leurs soutiens occidentaux. Alors que les bombardements actuels se sont intensifiés, le journaliste Muhammad Smiry a déclaré : “Cette fois, nous risquons de ne pas survivre”. L'inquiétude de Smiry n'est pas isolée. Chaque fois qu'Israël envoie ses avions de chasse et ses missiles, la mort et la destruction atteignent des proportions inimaginables. Cette fois-ci, avec une invasion totale, la destruction sera d'une ampleur inégalée à ce jour.
Les ruines de Gaza
Gaza est une ruine peuplée de près de deux millions de personnes. Après l'horrible bombardement de Gaza par Israël en 2014, les Nations unies ont rapporté que “les gens dorment littéralement parmi les décombres ; des enfants sont morts d'hypothermie”. Une variante de cette phrase a été écrite après chacun de ces bombardements, et sera réécrite lorsque celui en cours s'achèvera enfin.
En 2004, le directeur de la sécurité nationale israélienne, Giora Eiland, a déclaré que Gaza était un “immense camp de concentration”. Cet “immense camp de concentration” a été érigé en 1948, lorsque la politique de nettoyage ethnique de l'État israélien nouvellement créé a déplacé les Palestiniens dans des camps de réfugiés, y compris à Gaza. Deux ans plus tard, les services de renseignement israéliens ont déclaré que les réfugiés de Gaza avaient été “condamnés à une extinction totale”. Ce jugement n'a pas changé au cours des 73 années qui se sont écoulées depuis. Malgré le retrait officiel des colons et des troupes israéliennes en 2005, Israël reste la puissance occupante de la région en bouclant les frontières terrestres et maritimes de la bande de Gaza. Israël décide de ce qui entre dans la bande de Gaza et utilise ce pouvoir pour asphyxier progressivement la population.
Politicide
Lorsque les Palestiniens de Gaza ont tenté d'élire leurs propres dirigeants en janvier 2006, le Hamas - formé lors de la première Intifada (soulèvement) de 1987 à Gaza - a remporté les élections. La victoire du Hamas (Mouvement de résistance islamique) a été condamnée par les Israéliens et les Occidentaux, qui ont décidé de recourir à la force armée pour invalider les résultats de l'élection. Les opérations “Summer Rains” et “Autumn Clouds” ont imposé une nouvelle dynamique aux Palestiniens : des bombardements ponctuels en guise de punition collective pour l'élection du Hamas aux élections législatives. Gaza n'a jamais eu droit à un processus politique, elle n'a en fait jamais été autorisée à se doter d'une quelconque autorité politique pour représenter la population. Israël a tenté par la force d'éradiquer la vie politique de Gaza, et de maintenir la population dans une situation où le conflit armé devient permanent. Lorsque les Palestiniens ont organisé la grande marche du retour non violente de 2019, l'armée israélienne a répondu par un usage intensif des armes qui a fait deux cents morts. Lorsqu'une manifestation non violente est réprimée par la force, il devient difficile de convaincre les gens de rester sur cette voie, et de ne pas prendre les armes.
À mesure que ce conflit prend des allures durables, la frustration de la politique palestinienne abandonne progressivement l’idée de négociations devenues impossibles pour se tourner vers le recours à la violence armée. Aucune autre voie n'est permise. Les dirigeants politiques palestiniens ont été soit bridés par l'Union européenne et les États-Unis et donc déconnectés des aspirations populaires, soit - s'ils continuent à répercuter leurs attentes - envoyés dans l'une des nombreuses et dures prisons israéliennes (quatre hommes palestiniens sur dix sont ou ont été emprisonnés, tandis que les dirigeants de la plupart des partis de gauche y passent de longues périodes en vertu de mandats de “détention administrative”). Le sociologue israélien Baruch Kimmerling a affirmé que la politique israélienne à l'égard des Palestiniens s'est traduite par un “politicide”, c'est-à-dire la destruction délibérée des processus politiques palestiniens. L'unique issue est la lutte armée.
En effet, en vertu du droit international, la lutte armée contre une puissance occupante n'est pas illégale. De nombreuses conventions internationales et résolutions des Nations unies affirment le droit à l'autodétermination, notamment le protocole additionnel n° 1 des conventions de Genève de 1949, la résolution 3314 de l'Assemblée générale des Nations unies (1974), et la résolution 37/43 de l'Assemblée générale des Nations unies (1982). La résolution de 1982 “réaffirme la légitimité de la lutte des peuples pour l'indépendance, l'intégrité territoriale, l'unité nationale et la libération de la domination coloniale et étrangère et de l'occupation étrangère par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée”. Il ne peut y avoir de disposition plus claire sanctionnant légalement la lutte armée contre une occupation illégale.
Pourquoi le Hamas attaque-t-il Israël ? Parce que la nature de l'occupation israélienne a imposé sa volonté politique à la relation entre Palestiniens et Israéliens. En effet, chaque fois que de modestes pourparlers - souvent négociés par le Qatar - sont engagés entre le Hamas et le gouvernement israélien, ils sont étouffés par le vacarme des avions de combat israéliens.
Crimes de guerre
Chaque fois que ces avions de combat israéliens bombardent Gaza, les dirigeants des pays occidentaux s'alignent systématiquement pour déclarer qu'ils “soutiennent Israël” et qu'“Israël a le droit de se défendre”. Cette dernière affirmation - sur le fait qu'Israël a le droit de se défendre - est juridiquement erronée. En 1967, les forces israéliennes ont franchi les “lignes vertes” israéliennes de 1948 et se sont emparées de Jérusalem-Est, de Gaza et de la Cisjordanie. La résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies exigeait le “retrait des forces armées [israéliennes] des territoires occupés au cours du récent conflit”. L'utilisation du terme “occupé” n'est pas anodine. L'article 42 du Règlement de La Haye (1907) stipule qu'un “territoire est considéré comme occupé lorsqu'il est effectivement placé sous l'autorité de l'armée ennemie”. La quatrième convention de Genève impose à la puissance occupante d'être responsable du bien-être des personnes sous occupation, obligations pour la plupart violées par le gouvernement israélien.
En fait, en ce qui concerne Gaza depuis 2005, les hauts fonctionnaires israéliens n'ont pas parlé le langage de l'autodéfense. Ils ont utilisé le langage de la punition collective. Avant les bombardements en cours, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré :
“Nous avons décidé d'interrompre les transferts d'électricité, de carburant et de marchandises vers Gaza”.
Son ministre de la défense, Yoav Gallant, a suivi en déclarant :
“J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n'y aura pas d'électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est bouclé.”
Le ministre israélien de l'énergie, Israël Katz, a quant à lui précisé :
“J'ai ordonné que l'approvisionnement en eau d'Israël à Gaza soit immédiatement suspendu.”
Ayant mis ces menaces à exécution, ils ont bouclé Gaza - notamment en bombardant le poste de Rafah vers l'Égypte - et condamné les vies de deux millions de personnes. Selon les termes des conventions de Genève, il s'agit d'une “punition collective”, qui constitue un crime de guerre. La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes de guerre israéliens en 2021, mais n'a pas été en mesure de progresser, ne serait-ce que pour recueillir des informations.
Les enfants se blottissent dans leur chambre en attendant les bombes, dans le noir sans l'électricité, attendant la fin, la gorge sèche et le ventre creux. Après le bombardement israélien de 2014, Umm Amjad Shalah a parlé de son fils Salman, âgé de 10 ans. Le garçon ne voulait pas lâcher sa mère, terrorisé par le vacarme des explosions et la mort alentour.
“Parfois, il crie tant dans son sommeil”, dit-elle. “On dirait presque qu'il rit fort.”
Cet article a été produit par Globetrotter.
* Le dernier livre de Vijay Prashad (avec Noam Chomsky) s'intitule The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of US Power (New Press, août 2022).
https://www.counterpunch.org/2023/10/13/the-savagery-of-the-war-against-the-palestinian-people/