đâđš Voici venu le temps de la chasse aux sorciĂšres en IsraĂ«l : un enseignant dĂ©tenu Ă l'isolement pour sâĂȘtre inquiĂ©tĂ© des civils tuĂ©s Ă Gaza.
Tout cela va au-delĂ de mon cas personnel. Nous vivons une Ă©poque de persĂ©cution politique. On mâa taxĂ© de âpartisan du Hamasâ pour avoir exprimĂ© mon opposition au fait de cibler des civils innocents.
đâđš Voici venu le temps de la chasse aux sorciĂšres en IsraĂ«l : un enseignant dĂ©tenu Ă l'isolement pour sâĂȘtre inquiĂ©tĂ© des civils tuĂ©s Ă Gaza.
Par Emma Graham-Harrison & Quique Kierszenbaum Ă JĂ©rusalem, le 13 janvier 2024
Meir Baruchin, licencié et emprisonné pour avoir critiqué l'armée, affirme que beaucoup de ceux qui sont d'accord avec lui ont peur de s'exprimer publiquement.
DĂ©but novembre, Meir Baruchin, professeur d'histoire et d'Ă©ducation civique aux cheveux grisonnants et Ă la voix douce, a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© dans le quartier d'isolement de la cĂ©lĂšbre prison de JĂ©rusalem, le âRussian Compoundâ, sur la base d'une accusation improbable d'intention de trahison.
Les preuves rassemblées par la police qui l'a menotté, puis s'est rendue à son appartement et l'a saccagé sous ses yeux, étaient une série de messages qu'il avait postés sur Facebook, pleurant les civils tués à Gaza, critiquant l'armée israélienne et mettant en garde contre les guerres vengeresses.
âDes images horribles nous parviennent de Gaza. Des familles entiĂšres ont Ă©tĂ© anĂ©anties. Je n'ai pas l'habitude de mettre en ligne ce genre de photos, mais regardez ce que nous faisons pour nous vengerâ,
peut-on lire dans un message publié le 8 octobre, sous une photo de la famille d'Abu Daqqa, tué lors de l'une des premiÚres frappes aériennes sur la bande de Gaza.
âQuiconque pense que cette action est justifiĂ©e par ce qui s'est passĂ© hier devrait se dĂ©solidariser de ses amis. Je demande Ă tous les autres de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour mettre fin Ă cette folie. ArrĂȘtez tout de suite. Pas demain, maintenant !!!â
C'était le lendemain de l'horrible attaque du Hamas contre Israël, alors que le pays était sous le choc du massacre de 1 200 personnes et de l'enlÚvement de plus de 240 autres.
Il savait que ses opinions sur l'armĂ©e israĂ©lienne Ă©taient controversĂ©es : des critiques similaires Ă un moment moins sensible lui avaient coĂ»tĂ© un poste d'enseignant dans la ville de Rishon LeZion, prĂšs de Tel-Aviv, trois ans plus tĂŽt. Il pensait Ă©galement qu'il Ă©tait essentiel de les exprimer au moment oĂč le pays dĂ©cidait de la rĂ©ponse Ă apporter.
Je suis devenu un "partisan du Hamas" parce que j'ai exprimĂ© mon opposition au fait de prendre pour cible des civils innocents. âMeir Baruchin
âLa plupart des IsraĂ©liens ne savent pas grand-chose des Palestiniens. Ils pensent qu'ils sont tous des terroristes, ou de vagues images sans nom, sans visage, sans famille, sans maison, sans espoirâ, a dĂ©clarĂ© Meir Baruchin. âCe que j'essaie de faire Ă travers mes messages, c'est de prĂ©senter les Palestiniens comme des ĂȘtres humainsâ.
Dix jours aprĂšs ce message sur Facebook, il a Ă©tĂ© licenciĂ© de son poste d'enseignant dans la municipalitĂ© de Petach Tikvah. Moins d'un mois plus tard, il se retrouvait dans une prison de haute sĂ©curitĂ©, dĂ©tenu pour donner Ă la police plus de temps pour enquĂȘter sur des opinions critiques qu'il n'avait jamais essayĂ© de cacher.
En IsraĂ«l, des journalistes aguerris, des intellectuels et des dĂ©fenseurs des droits affirment qu'il nâexiste que peu d'espace public pour les opinions divergentes sur la guerre Ă Gaza, mĂȘme aprĂšs trois mois d'une offensive qui a tuĂ© 23 000 Palestiniens et dont la fin n'est toujours pas en vue.
"Il ne faut pas s'y tromper : Baruchin a Ă©tĂ© utilisĂ© comme un outil politique pour envoyer un message politique. Le motif de son arrestation Ă©tait la dissuasion - faire taire toute critique ou toute vellĂ©itĂ© de protestation Ă l'encontre de la politique israĂ©lienneâ,
a déclaré le journal Haaretz, un quotidien reconnu de longue date, dans un éditorial.
Il n'est pas le seul enseignant Ă ĂȘtre visĂ©. Les autoritĂ©s ont Ă©galement convoquĂ© Yael Ayalon, directrice d'un lycĂ©e de Tel-Aviv, aprĂšs qu'elle eut partagĂ© un article du Haaretz avertissant que les mĂ©dias israĂ©liens cachaient les souffrances des civils de Gaza. âLes citoyens israĂ©liens doivent ĂȘtre conscients de cette rĂ©alitĂ©â, disait l'article.
Ses Ă©lĂšves se sont rĂ©voltĂ©s dans son Ă©tablissement aprĂšs la diffusion de l'article. Mme Ayalon a poursuivi ses employeurs devant un tribunal et a Ă©tĂ© rĂ©intĂ©grĂ©e, mais lorsqu'elle est retournĂ©e Ă l'Ă©cole, elle a Ă©tĂ© attaquĂ©e par des Ă©lĂšves qui scandaient âRentrez chez vousâ. Elle n'a pas souhaitĂ© s'exprimer auprĂšs de l'Observer.
Baruchin a également été entendu par un tribunal de l'éducation ce mois-ci. Selon le droit du travail israélien, les autorités locales n'ont pas le droit de licencier un enseignant dont les performances ont toujours été excellentes, affirme-t-il, et les lois sur la liberté d'expression ont protégé son droit de publier des articles sur la guerre.
Mais il vit sur ses Ă©conomies en attendant le verdict et mĂȘme s'il gagne, les accusations de trahison n'ont pas Ă©tĂ© abandonnĂ©es : il pourrait ainsi vivre dans l'ombre pendant cinq ans, la limite fixĂ©e par la police pour engager des poursuites.
âCette histoire est bien plus grave que mon histoire personnelle ou celle de Yael. Nous vivons une Ă©poque de chasse aux sorciĂšres en IsraĂ«l, de persĂ©cution politiqueâ,
a-t-il dĂ©clarĂ©. On mâa qualifiĂ© de âpartisan du Hamasâ parce que j'ai exprimĂ© mon opposition au fait de prendre pour cible des civils innocents.
Il a déclaré avoir reçu des centaines de messages privés de soutien de la part de collÚgues enseignants et d'étudiants trop effrayés pour s'exprimer publiquement, et en a montré plusieurs à l'Observer.
âLe message est clair comme de l'eau de roche : se taire, se mĂ©fierâ, dit-il, ajoutant que ces messages ont renforcĂ© sa propre conviction de s'exprimer. âJe me suis dit que lorsque je prendrai ma retraite, je pourrais conclure qu'il s'agit de la leçon d'Ă©ducation civique la plus importante que j'aie jamais donnĂ©e.â
Meir Baruchin ne pense pas ĂȘtre le seul IsraĂ©lien juif Ă avoir Ă©tĂ© dĂ©tenu pour avoir dĂ©noncĂ© la mort de civils Ă Gaza, ce qui n'aurait rien eu d'inhabituel s'il avait Ă©tĂ© un citoyen palestinien d'IsraĂ«l.
Des centaines de personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es et emprisonnĂ©es, ou ont perdu leur emploi ou leur accĂšs Ă l'Ă©ducation Ă cause de messages publiĂ©s sur les rĂ©seaux sociaux. Le juge qui a mis Baruchin en prison a Ă©tabli une comparaison explicite.
âSi un rĂ©sident arabe avait publiĂ© ce message, le danger aurait Ă©tĂ© Ă©vident. Je ne pense pas qu'il soit possible de faire la diffĂ©rence entre un message arabe et un message juif.â
Un groupe d'éminents Israéliens a cité dans une lettre les différences entre les normes de liberté d'expression des citoyens juifs et palestiniens dans le pays, estimant que l'incitation au génocide avait été normalisée dans le pays.
Baruchin a d'abord Ă©tĂ© convoquĂ© dans un commissariat de police pour y ĂȘtre interrogĂ© sur des accusations de sĂ©dition. Lorsqu'il a fait remarquer Ă la police qu'elle avait besoin d'un mandat du procureur gĂ©nĂ©ral pour inculper un citoyen israĂ©lien de ce dĂ©lit, des accusations de trahison ont Ă©tĂ© dĂ»ment formulĂ©es.
Lorsqu'il est arrivĂ© au poste de police, on lui a menottĂ© les poignets et les chevilles et on lui a prĂ©sentĂ© un mandat de perquisition de son domicile. Cinq inspecteurs l'ont escortĂ©, ont mis son appartement sens dessus dessous et ont finalement confisquĂ© deux ordinateurs portables et six disques durs. La police a alors demandĂ© plus de temps pour enquĂȘter, et un juge a ordonnĂ© qu'il soit placĂ© en dĂ©tention.
âJe n'Ă©tais pas autorisĂ© Ă prendre quoi que ce soit avec moi dans la celluleâ, raconte-t-il. âJe suis entrĂ© habillĂ© et je suis restĂ© habillĂ© de la mĂȘme façon pendant quatre jours. Il y avait des douches Ă l'eau froide, un minuscule morceau de savon, deux couvertures empestant la fumĂ©e de cigarette et une mini serviette."
âJe n'avais pas le droit d'avoir de livre, de regarder la tĂ©lĂ©vision ou quoi que ce soit d'autre. Les gardiens n'avaient pas le droit de me parler et il n'y avait pas de fenĂȘtre, si bien que je ne distinguais pas le jour de la nuit. On m'a enlevĂ© ma montre.
âPour ne pas devenir fou, je faisais de l'exercice toutes les heures et demie ou toutes les deux heures. Chaque fois que le gardien venait faire un contrĂŽle, je demandais l'heure qu'il Ă©tait, pour calculer le temps restantâ.
Il a de nouveau Ă©tĂ© interrogĂ© avant qu'un second juge n'ordonne sa libĂ©ration. Les personnes qui l'ont interrogĂ© lui ont dit que ses messages ressemblaient aux Protocoles des Sages de Sion, l'un des documents antisĂ©mites les plus cĂ©lĂšbres au monde. Je suis professeur d'histoire et j'ai donc demandĂ© : âLes avez-vous dĂ©jĂ lus ?â Ils n'ont pas rĂ©pondu.
Lorsque son nom sera mieux connu, Baruchin prévoit de poursuivre les médias israéliens qui ont rapporté les accusations de la police sans lui demander de réagir ou sans recherche de preuves, et qui l'ont accusé de légitimer et de défendre le Hamas.
Il affirme ne pas avoir été traumatisé par cette expérience, le sort des civils palestiniens et des otages israéliens à Gaza étant pour lui bien plus préoccupant. Il continue de suivre de prÚs ce qui se passe là -bas et passe en revue sur son téléphone les images des victimes récentes, un journaliste, un violoniste, un bébé.
Le dernier message qu'il a postĂ© avant l'interview de l'Observer Ă©tait une image d'une pierre tombale improvisĂ©e, qui ressemble Ă un Ă©lĂ©ment d'un meuble cassĂ©. âVictime inconnue, veste verte et basketsâ, peut-on lire sur l'inscription.
âToute l'histoire en une seule imageâ, dit-il. âLes grands mĂ©dias israĂ©liens ne diffusent pas cette image. Ils nâen saisissent pas le sens, et ne veulent pas le saisirâ.