đâđš âWikiLeaks met fin aux guerresâ : voilĂ pourquoi Julian Assange doit vivre en homme libre
Le temps passe & Julian Assange, fondateur et éditeur de WikiLeaks, est toujours détenu à l'isolement dans une prison de sécurité maximale, et ce depuis plus de quatre ans. Une situation inadmissible.
đâđš âWikiLeaks met fin aux guerresâ : voilĂ pourquoi Julian Assange doit vivre en homme libre
Par Franz Becchi, Berliner Zeitung, le 9 novembre 2023
Le Berliner Zeitung fait campagne pour la libération des journalistes Julian Assange et Evan Gershkovich . Julian Assange est incarcéré en Grande-Bretagne, Evan Gershkovich en Russie. Les deux journalistes sont détenus à tort. Nous appelons les gouvernements britannique et russe à les libérer immédiatement.
On a dĂ©jĂ beaucoup parlĂ© de Julian Assange. Pour beaucoup, il est considĂ©rĂ© comme un hĂ©ros de la libertĂ© qui a rendu publiques sur sa plateforme de diffusion WikiLeaks des vĂ©ritĂ©s dĂ©rangeantes dans les annĂ©es 2010, et a changĂ© Ă jamais le journalisme. Pour dâautres, il est âhacker-escrocâ, espion, Assange le criminel dont lâactivisme sans scrupules a mis en pĂ©ril la rĂ©putation des Ătats-Unis.
Pendant que le dĂ©bat public tourne autour du dĂ©bat âAssange est un hĂ©ros ou pasâ, l'Ă©diteur de 52 ans est enfermĂ© dans l'aile de sĂ©curitĂ© maximale de la prison de Belmarsh Ă Londres depuis 1 675 jours. Son crime : avoir publiĂ© la vĂ©ritĂ©. Belmarsh, la bien-nommĂ©e GuantĂĄnamo britannique accueille des criminels parmi les plus dangereux au monde. Terroristes et meurtriers y sont dĂ©tenus derriĂšre dâĂ©pais barreaux dâacier. Certains sont aujourdâhui incarcĂ©rĂ©s ailleurs, voire libĂ©rĂ©s pour certains. Mais pas Julian Assange.
Le natif australien passe environ 22 heures par jour dans une cellule de six mÚtres carrés. Son épouse Stella Assange, qui a épousé le journaliste en prison en mars 2022, peut lui rendre visite une fois par semaine, pendant un peu plus d'une heure. Le couple a deux enfants. "Ils n'ont jamais été seuls avec leur pÚre", confie Stella Assange au Berliner Zeitung. Dans la salle des visites de la prison à sécurité maximale, tout est scruté par caméras et agents de sécurité.
"Il n'a mĂȘme pas Ă©tĂ© condamnĂ©, mais il est incarcĂ©rĂ© depuis plus longtemps que certains criminels violents", raconte Stella Assange, membre de son Ă©quipe juridique depuis 2011. Leur relation a dĂ©butĂ© quelques annĂ©es plus tard, pendant lâasile politique dâAssange Ă lâambassade dâĂquateur Ă Londres.
Le fondateur de WikiLeaks est privĂ© de libertĂ© depuis plus de dix ans. En 2012, aprĂšs la publication via la plateforme d'investigation de centaines de milliers de documents classifiĂ©s sur les guerres dâIrak et dâAfghanistan, Assange a accusĂ© d'inconduite sexuelle en SuĂšde. Craignant dâĂȘtre extradĂ© vers les Ătats-Unis, il a trouvĂ© temporairement refuge Ă l'ambassade d'Ăquateur Ă Londres, le gouvernement Ă©quatorien redoutant pour Assange une possible peine de mort aux Ătats-Unis. Pour des raisons de sĂ©curitĂ©, dĂšs lors, le journaliste n'a plus jamais pu sortir du bĂątiment.
"Collateral Murder" : des crimes de guerre sans responsable ?
WikiLeaks s'est fait connaĂźtre dans le monde entier en avril 2010 avec la publication dâune vidĂ©o de vingt minutes montrant un incident et gardĂ©e jusqu'alors secrĂšte en Irak. Sur la vidĂ©o en noir et blanc intitulĂ©e Collateral Murder, tournĂ©e trois ans plus tĂŽt, on dĂ©couvre un hĂ©licoptĂšre militaire amĂ©ricain ouvrant le feu sur un groupe de civils irakiens, dont deux journalistes de l'agence de presse britannique Reuters. Plusieurs d'entre eux sont tuĂ©s. On y voit aussi des enfants dans une camionnette prise pour cible par lâarmĂ©e amĂ©ricaine.
Les rĂ©vĂ©lations de WikiLeaks commençaient Ă faire la une des journaux les plus cĂ©lĂšbres du monde. Les responsables des crimes de guerre prĂ©sumĂ©s nâont pourtant jamais Ă©tĂ© traduits en justice. Assange, lui, est victime d'une procĂ©dure judiciaire controversĂ©e en Grande-Bretagne. En avril 2019, l'Ăquateur a rĂ©voquĂ© son droit d'asile et de citoyennetĂ©. Puis Assange a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© par la police britannique, et condamnĂ© Ă 50 semaines de prison pour nâavoir pas respectĂ© les conditions de sa libĂ©ration sous caution.
L'arrestation de Julian Assange
Assange a Ă©tĂ© traĂźnĂ© hors de lâambassade comme un sac par sept officiers britanniques, et jetĂ© dans un fourgon de police. Lâapparence du militant Ă©tait particuliĂšrement nĂ©gligĂ©e. Avec sa longue barbe hirsute et des cheveux blancs comme neige, on dĂ©couvrait un Assange particuliĂšrement vieilli. L'ambassade Ă©quatorienne lui avait confisquĂ© son rasoir quelque trois mois plus tĂŽt, a-t-il racontĂ© plus tard au rapporteur spĂ©cial de l'ONU sur la torture, Nils Melzer . Câest la derniĂšre fois quâAssange est apparu en public.
Pour Melzer, aucun doute : Assange a Ă©tĂ© soumis Ă de la torture psychologique. Dans son livre de 2021 The Julian Assange Case [Ădition française : Lâaffaire Assange : Histoire dâune persĂ©cution politique), le rapporteur spĂ©cial relate le traitement inhumain infligĂ© Ă Assange. Sa thĂšse : faire dâAssange uns mise en garde pour quiconque aurait des vellĂ©itĂ©s de publier les secrets des puissants.
Lors de son âsĂ©jourâ Ă lâambassade dâĂquateur, Assange a dĂ» faire face Ă un quotidien dĂ©sagrĂ©able. Aucune intimitĂ©. Seule une petite fenĂȘtre laissait passer les seuls rayons de soleil dont Assange pouvait profiter quelques heures par jour. Il a Ă©galement Ă©tĂ© surveillĂ© et mis sur Ă©coute, y compris dans la salle de bain, oĂč un microphone cachĂ© enregistrait tous les appels passĂ©s par Assange.
"On lui a restreint de plus en plus de libertĂ© et dâespace de vie", a dĂ©clarĂ© au Berliner Zeitung Juan Passarelli, un documentariste engagĂ© par Assange lui-mĂȘme pour le filmer ainsi que lâĂ©quipe de WikiLeaks. Passarelli lâa rencontrĂ© pour la premiĂšre fois en octobre 2010, peu avant la publication par WikiLeaks des tristement cĂ©lĂšbres Journaux de guerre dâIrak. Il connaissait dĂ©jĂ la plateforme WikiLeaks, mais pas Assange. "Cela a tout changĂ©", dit-il.
Ă lâĂ©poque, le documentariste nâaurait jamais imaginĂ© quâAssange, quelques annĂ©es plus tard, serait un prisonnier politique en Grande-Bretagne. "Quand je l'ai revu en janvier, il Ă©tait dĂ©jĂ sous une forme de dĂ©tention", a dĂ©clarĂ© Passarelli. Il portait un bracelet Ă©lectronique Ă la cheville, devait pointer tous les jours au commissariat de police, et devait respecter un couvre-feu nocturne. Passarelli dit que WikiLeaks a changĂ© le monde et le journalisme, et plus dâune fois.
WikiLeaks a mis fin Ă la guerre en Irak
La plateforme de divulgation a ainsi Ă©tĂ© la premiĂšre Ă mettre en place un systĂšme garantissant lâanonymat des lanceurs dâalerte. Mais ce n'est qu'une des nombreuses contributions de WikiLeaks utile Ă la sociĂ©tĂ©. âWikiLeaks a permis de mettre fin Ă la guerre en Irakâ, affirme avec conviction Passarelli.
Selon le rĂ©alisateur, un dossier secret documentant le massacre de civils irakiens par les troupes amĂ©ricaines a fait que le gouvernement irakien nâa pas renouvelĂ© l'accord d'immunitĂ© des soldats amĂ©ricains. Le prĂ©sident amĂ©ricain de lâĂ©poque, Obama, a alors retirĂ© 50 000 soldats amĂ©ricains dâIrak, mettant ainsi un terme Ă la guerre.
Assange sâest-il fait plus dâamis que dâennemis au cours de la derniĂšre dĂ©cennie ?Ce qui est clair, câest que ses ennemis sont puissants. Certaines entitĂ©s de la CIA, par exemple, auraient mĂȘme planifiĂ© son enlĂšvement et son assassinat, comme lâa rĂ©vĂ©lĂ© un ancien officier supĂ©rieur du contre-espionnage. Selon lui, ces plans ont Ă©tĂ© discutĂ©s aux "plus hauts niveaux" de lâadministration Trump.
Les services secrets amĂ©ricains ont Julian Assange dans le viseur depuis des annĂ©es. Mais c'est la publication par WikiLeaks de lâinventaire des outils de piratage ultra sensibles de la CIA, connus sous le nom de Vault 7, qui a poussĂ© les services secrets amĂ©ricains Ă dĂ©velopper une surveillance encore plus draconienne. Selon la CIA la diffusion de âVault7â est la violation historique des donnĂ©es de lâhistoire du renseignement amĂ©ricain.
Assange est dĂ©sormais accusĂ© dâavoir violĂ© lEspionage Act pour avoir publiĂ© des documents gouvernementaux sensibles classifiĂ©s et des informations fournies par des lanceurs dâalerte. DĂ©but juin, il a Ă©tĂ© dĂ©boutĂ© de son dernier appel contre lâextradition : la High Court britannique a validĂ© lâextradition vers le pays qui a ouvertement discutĂ© de son assassinat. La Cour europĂ©enne des droits de l'homme reprĂ©sente lâultime espoir pour Assange de contrer lâextradition.
Sâil est jugĂ© et condamnĂ© aux Ătats-Unis, il encourt 175 ans de prison. Il est hautement improbable quâon accorde Ă Assange un procĂšs Ă©quitable. Quelle que soit lâissue de cette affaire, la question se pose : le journalisme est-il un crime pour lequel il faut sacrifier sa propre libertĂ© ?
* Francesco (Franz) Becchi, Italien Ă l'Ăąme allemande, a Ă©tudiĂ© l'interprĂ©tariat et la traduction dans sa ville natale, GĂȘnes, puis les relations internationales et la communication Ă Milan. C'est lĂ qu'il connaĂźt ses premiĂšres expĂ©riences professionnelles dans le journalisme, notamment Ă la tĂ©lĂ©vision. Depuis janvier 2023, il est en stage au Berliner Zeitung.