🚩 W.J. Astore: La guerre Russie-Ukraine, une guerre mondiale
Il est temps que les principaux acteurs de ce conflit acceptent une variante du match nul, un règlement négocié, et la fin du conflit. Aux échecs, les joueurs ne risquent pas de mourir. Nous, si.
🚩 La guerre Russie-Ukraine, une guerre mondiale
📰 Par W.J. Astore, le 15 octobre 2022
Je n'ai pas beaucoup écrit sur le déroulement de la guerre Russie-Ukraine. Je n'ai aucune idée particulière de ce qui se passe en Ukraine ou dans la tête de Poutine, mais je pense connaître un peu les États-Unis, et leurs dirigeants.
La guerre en elle-même: la Russie et l'Ukraine sont toutes deux en train de perdre. La Russie perd des hommes et du matériel, l'Ukraine perd des terres et subit toutes les destructions inhérentes à une guerre menée sur son territoire. De nombreux Américains semblent encourager l'Ukraine et sa résistance résolue, mais à quel prix, et dans quel but ?
Analogies historiques: les commentateurs américains aiment se référer à 1938 et à Munich. Poutine, naturellement, serait Hitler, et le monde doit lui tenir tête puisque l'Ukraine n'est que le premier pays sur la liste de ses conquêtes potentielles. Si Poutine gagnait en Ukraine, la Pologne serait la suivante. Ou les États baltes. Parce que Poutine aurait en tête de recréer l'empire soviétique. Ou la Russie des Tsars.
Mais je pense que la situation est bien plus proche de celle de 1914. Un conflit régional qui pourrait devenir incontrôlable alors que de plus en plus de nations sont impliquées dans une spirale d'escalade. Les menaces russes et les seuils nucléaires sont plus qu'inquiétants. Après tout, les guerres sont par nature chaotiques et imprévisibles, créant souvent leur propre logique bizarroïde quant au bien et au mal, au rationnel et à l'irrationnel. Quiconque pense savoir comment cette guerre finira surestime la prévisibilité de la guerre. Nous sommes tous engagés dans un exercice de devinette, et lorsque des menaces nucléaires sont en jeu, l'exercice de devinette est loin d'être rassurant.
La guerre Russie-Ukraine pourrait dégénérer en guerre mondiale: nous avons déjà été témoins d'importantes sanctions économiques impliquant les États-Unis, les pays de l'OTAN et la Russie. Nous avons également observé que la Russie coopère avec la Chine et d'autres pays pour vendre son carburant et d'autres produits afin d'échapper à ces sanctions. Nous avons déjà constaté l'inflation et la récession de l'économie américaine découlant de ces sanctions. Pendant ce temps, les États-Unis et l'OTAN ont envoyé des dizaines de milliards de dollars en armement à l'Ukraine pour qu'elle mène sa guerre, qui, pour être franc, est une forme de guerre par procuration pour les États-Unis et l'OTAN. Le président américain a appelé à un changement de régime en Russie, déclarant que Poutine devait disparaître. Les deux pipelines Nord Stream ont été attaqués. Il ne s'agit pas d'une simple guerre régionale entre la Russie et l'Ukraine. C'est déjà une guerre aux implications mondiales ouvertement financée par les États-Unis, dans le but explicite d'affaiblir la Russie et d'écarter Poutine du pouvoir.
Pour reprendre la terminologie des échecs, la guerre semble encore être dans sa phase d'ouverture. Peut-être le stade intermédiaire a-t-il commencé ; ce qui est certain, c'est que la fin de la partie n'est pas en vue. Comme l'a récemment noté Matt Taibbi, le Washington Post a observé que "les événements récents n'ont fait qu'accroître le sentiment d’une guerre longue durée" et que "tout cela s'ajoute à une guerre qui semble de plus en plus étendue". Pire encore, note le journal:
“En privé, les responsables américains affirment que ni la Russie ni l'Ukraine ne sont à même de remporter la guerre, mais ils ont exclu l'idée de pousser ou même d'inciter l'Ukraine à la table des négociations. Ils disent qu'ils ne savent pas à quoi ressemblera la fin de la guerre, ni comment ni quand elle pourrait se terminer, soutenant que la décision revient à Kiev”.
La réponse de Taibbi est révélatrice: "Quoi ? Si la Maison Blanche ne pense pas que la guerre puisse être gagnée, et refuse par ailleurs elle aussi de négocier, ou d'inciter les autres à le faire pour elle, quelle est exactement sa stratégie finale ? Attendre que les choses empirent pour ensuite réévaluer ?"
Pour en revenir aux échecs: dans les parties impliquant des joueurs très compétents, il arrive souvent que des parties nulles soient consenties au début du milieu de jeu, lorsque les deux joueurs réalisent qu'ils n'ont aucune perspective de victoire, et que continuer à jouer ne fera que prolonger l'inévitable. Il est temps que les principaux acteurs de ce conflit acceptent une variante du match nul, un règlement négocié, et la fin du conflit. Les échecs, après tout, ne sont qu'un jeu. Les joueurs ne risquent pas de mourir dans un cataclysme nucléaire. Nous, si.
https://bracingviews.com/2022/10/15/the-russia-ukraine-war-as-a-world-war/