👁🗨 Au commencement était la Pax Americana
Renoncer à la Pax Americana ne signifie pas aucune alternative. Cela implique de renoncer à la “tradition” de puissance mondiale, passer par l'effondrement du système américain, puis reconstruire.
👁🗨 Au commencement était la Pax Americana
Par Lorenzo Maria Pacini, le 21 novembre 2024
Que va signifier Make America Great Again ? Rétablir l'hégémonie américaine dans le monde, ou reconstruire l'Amérique ?
On parle souvent d'Occident collectif, d'hégémon, de puissance maritime et de civilisation de la mer à propos des États-Unis d'Amérique. Il est nécessaire de bien comprendre quelle est l'origine de cette puissance géopolitiquement déterminante pour l'ordre mondial.
Celui qui gagne la guerre, dicte les règles
Précisons tout de suite une vérité factuelle empiriquement incontestable : celui qui gagne la guerre dicte les règles de l'ordre d'après-guerre. Celui qui gagne écrit l'histoire. Qu'on le veuille ou non, les vaincus n'ont jamais eu beaucoup de pouvoir décisionnel (ce qui ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas s'organiser pour riposter et revenir au pouvoir - mais c'est une autre question).
La Seconde Guerre mondiale s'est terminée par la victoire des États-Unis d'Amérique, première puissance invaincue et prédominante. S'ensuivit une expansion de l'influence américaine toto orbe terrarum à tous les égards (culturel, économique, militaire, politique).
Le vingtième siècle a été le “siècle américain”. La quasi-totalité du monde a pris la forme que les États-Unis ont voulu lui donner. La seconde moitié du siècle a été marquée par le conflit sous tension de la guerre froide, qui s'est terminée - si elle s'est vraiment terminée - par l'effondrement du système politique soviétique en URSS et le début de la phase unipolaire de domination mondiale par les États-Unis. Cette période a suscité beaucoup d'optimisme en Occident quant à l'avènement d'un nouvel ordre mondial, marquant la fin des rivalités militaires et idéologiques du XXe siècle. Deux possibilités se profilaient à l'horizon : un système fondé sur l'équilibre des pouvoirs et la souveraineté égalitaire, ou une hégémonie libérale dirigée par les États-Unis et fondée sur les valeurs de la démocratie. La première approche impliquait un conflit perpétuel, tandis que la seconde promettait une paix durable et une stabilité mondiale.
L'hégémonie américaine, déjà très présente dans la région transatlantique après la Seconde Guerre mondiale, était considérée comme un modèle de paix et de prospérité. Cependant, l'effondrement de l'Union soviétique a fait disparaître la justification d'un ordre mondial fondé sur l'équilibre des pouvoirs, poussant les États-Unis vers une mission dite d'hégémonie consacrée afin d'empêcher l'émergence de nouveaux rivaux. La suprématie américaine, déclarée par la secrétaire d'État Madeleine Albright, a été qualifiée d'“indispensable pour assurer la stabilité mondiale”.
C'était la Pax Americana : les États-Unis devaient assurer une période de prospérité et de paix mondiale - dès la fin de la Seconde Guerre mondiale - en étendant leur contrôle sur le monde entier. Une paix pour l'Amérique signifiait une paix pour le monde. Une guerre pour l'Amérique signifiait une guerre pour le monde. L'objectif déclaré de construire un monde pacifique a souvent justifié des approches impérialistes, révélant les contradictions du projet hégémonique.
En érigeant ce paradigme en axiome du raisonnement en relations internationales et en programmation géopolitique, tout a pris un sens nouveau. Le monde a été formaté et la “salle de contrôle” s’est désormais située à Washington.
Le temps des idéologies
C'est le temps des idéologies. Au cours du “petit siècle”, tout a évolué très rapidement. Le grand échiquier mondial est constamment bouleversé et remanié. L'affrontement entre le bloc de l'Ouest et le bloc de l'Est - ou bloc soviétique - caractérise de manière extrêmement forte toutes les conceptions de la politique de chaque pays.
Dans les années 1990, deux visions ont dominé le débat sur l'ordre mondial : celle de Francis Fukuyama, et celle de Samuel Huntington. Dans son célèbre ouvrage La fin de l'histoire, Fukuyama envisageait un avenir où la démocratie libérale et le capitalisme triompheraient universellement, instaurant une paix perpétuelle sous la direction des États-Unis : il soutenait que l'interdépendance économique, les réformes démocratiques et le partage des institutions uniraient le monde autour de valeurs communes, qui étaient, bien entendu, les valeurs américaines. Tout autre modèle de civilisation aurait été hors sujet, car l'Histoire étant finie, il n'y aurait plus rien à écrire. En revanche, Huntington a écrit Le choc des civilisations, dans lequel il prédit que le monde sera fragmenté en blocs culturels distincts fondés sur des identités civiles, religieuses et économiques. Selon lui, l'individualisme et les droits de l'homme sont propres à l'Occident et non universels. Sa réflexion s'inscrit dans un avenir marqué par des conflits de civilisations, alimentés par le déclin de l'hégémonie occidentale et l'émergence de pouvoirs alternatifs, notamment dans les sociétés confucéennes et islamiques.
L'influence des idées de Fukuyama a façonné la politique occidentale de l'après-guerre froide, justifiant l'expansion et l'exceptionnalisme de la Pax Americana. L'exceptionnalisme a été l'une des “valeurs” les plus pragmatiques des États-Unis : il existe des règles et nous sommes les seuls à pouvoir les enfreindre, quand nous le voulons, comme nous le voulons et sans avoir à en rendre compte à qui que ce soit.
L'histoire, cependant, ne compte pas qu'un seul et unique acteur : d'autres pays, comme la Russie, ont choisi d'être marqués par la proposition de Huntington - conflictuelle, certes, mais pas pour autant “définitive”. En Russie, ce débat renvoie à des racines très anciennes, liées à la rivalité historique entre occidentalistes et slavophiles. Dans les années 1990, la Russie a d'abord tenté de se rapprocher de l'Occident, mais le refus de l'Occident de l'inclure a renforcé l'idée d'une civilisation russe distincte, pour aboutir à la position de Vladimir Poutine selon laquelle aucune civilisation ne peut prétendre à quelque supériorité que ce soit.
Une question d'idéologies, en effet, une bataille peu médiatisée mais de très grande ampleur, au cours de laquelle les étapes du nouveau siècle naissant allaient être définies. Ces divergences ont mis en évidence les tensions entre les aspirations universalistes et les identités culturelles distinctes, définissant les conflits géopolitiques du 21e siècle.
Instaurer à tout prix la Pax Americana
Washington a promus un ordre mondial fondé sur la Pax Americana, une hégémonie libérale qui témoigne du succès du système transatlantique pacifique et prospère créé par les États-Unis pendant le conflit avec l'Union soviétique. Il proposait d'étendre ce modèle à l'échelle mondiale, citant en exemple l'Allemagne et le Japon, passés du statut de nations militaristes et impérialistes à celui de démocraties “pacifiques” - ou plus exactement vaincues - sous l'influence des États-Unis. Mais le succès de ces mutations a été rendu possible par la présence d'un adversaire commun, la Russie, et l'histoire de l'Amérique latine a montré que l'hégémonie américaine n'a pas toujours été synonyme de progrès et de paix.
Charles Krauthammer a décrit l'après-Guerre froide comme un “tournant unipolaire”, caractérisé par la domination américaine, où le nouvel hégémon dicte ses règles et où les autres n'ont guère le choix. Bien qu'il reconnaisse qu'une configuration à plusieurs participants (aujourd'hui nous pouvons parler de “multipolarisme”) renaîtra inévitablement, il pensait qu'il est nécessaire d'exploiter l'unipolarité pour assurer une paix temporaire, en évitant un retour aux périodes de turbulences. Mais il y avait un hic : il était peu probable que les États-Unis renoncent volontairement à leur rôle dominant, préférant contrer toute menace par la force, nourris par l'obsession de leur propre grandeur historique. C'est une véritable bataille de missiles : c'est celui qui a le plus gros qui gagne. N'oublions pas que les États-Unis ont inventé le concept stratégique de dissuasion précisément grâce à l'arme atomique qu'ils détiennent, plongeant le monde dans un climat de peur et de danger permanents dans lequel nous vivons encore aujourd'hui.
Il est également vrai que de nombreux Américains ont souhaité un démantèlement de l'empire américain, en proposant une politique étrangère moins interventionniste et plus axée sur les défis intérieurs : l'abandon du rôle de superpuissance permettrait aux États-Unis de consolider leur société en s'attaquant aux problèmes économiques, industriels et sociaux. Walter Lippmann a soutenu qu'une grande puissance parvenue à maturité doit renoncer aux croisades mondiales et limiter l'usage de la puissance à la préservation de la stabilité et de la cohérence internes. Une sorte de “bon hégémon”. Mais cela ne s'est pas vérifié.
La notion de “bon hégémon” a été critiquée en raison du risque de corruption inhérent au pouvoir lui-même. John Quincy Adams a averti que la recherche d'ennemis à combattre pourrait transformer les États-Unis d'un champion de la liberté en un dictateur mondial. De même, le président Kennedy, dans son discours de 1963 à l'American University, s'est opposé à une Pax Americana imposée par les armes, appelant au contraire à une paix authentique et inclusive qui encouragerait le progrès humain à l'échelle mondiale, qu'il a appelée “la paix de tous les temps”. Un idéal qui a sombré dans l'oubli de la mémoire collective.
L'hégémonie américaine est la condition sine qua non d'une Pax Americana. L'universalisme qui caractérise cette hégémonie n'admet aucune remise en cause. L'inégalité entre puissances mondiales a été exploitée comme moyen d'accroître les profits et l'expansion administrative des États-Unis au détriment des pays plus vulnérables. D'un point de vue néolibéral, il n'y a pas d'erreur. Tout est très cohérent. La lutte des plus forts pour détruire tous les plus faibles. Ce n'est pas seulement celui qui produit et gagne le plus qui gagne, mais celui qui peut maintenir le pouvoir de produire et de gagner le plus.
Un système hégémonique a besoin d'une stabilité interne sans laquelle il ne peut subsister. Un royaume divisé en lui-même ne peut fonctionner. Cela vaut en économie comme en politique. Il est essentiel que le paradigme idéologique soit immuable, que le pouvoir puisse toujours être perçu et transmis, de dirigeant à dirigeant, tel qu'il a été instauré avec succès. Car la “paix” des anciens Romains était une paix procurée par le maintien du contrôle politique jusqu'aux confins de l'empire, ce qui n'était possible que grâce à une solide administration militaire.
Les Américains n'ont rien inventé. Pour contrôler réellement (realpolitik), il faut contrôler militairement. Face à la bombe atomique, les raisonnements de nature politique ne valent pas grand-chose. Les États-Unis le savent très bien et leur concept de Pax a toujours été basé sans équivoque sur la suprématie militaire et son maintien.
Mais quelque chose a changé lorsque, au cours de la première décennie des années 2000, de nouveaux pôles, de nouveaux États-civilisations, ont commencé à émerger et à promouvoir d'autres modèles de vie mondiale. Les États-Unis ont commencé à voir leur puissance décliner, jour après jour, jusqu'à ce qu'aujourd'hui, où l'Occident vaut moins que le “reste du monde”, les États-Unis ne jouissent plus de leur statut “exclusif”, et nous ne sommes même pas certains qu'ils soient encore si forts qu'ils puissent contrôler le globe. Les schémas se modifient à nouveau. Quelle Pax pour quelles frontières de quel empire ?
Trump est-il prêt à renoncer à sa Pax?
Le fond de la question est le suivant : si la suprématie militaire impérialiste est ce qui a permis aux États-Unis de maintenir leur domination et que cette domination se précipite aujourd'hui, le président américain nouvellement élu Donald Trump sera-t-il vraiment prêt à compromettre la Pax Americana?
On parle ici de compromis polymorphe :
Économiquement, il lui faudrait accepter la fin de l'ère du dollar et réduire la taille du marché américain par rapport aux monnaies souveraines mondiales. En pratique, jeter à la poubelle un siècle d'architecture financière mondiale.
Politiquement, accepter qu'il est possible de penser autrement et de faire autrement. La politique ne se résume pas à la « démocratie » américaine. Il y a tant de possibilités, tant de modèles différents, tant d'avenirs à écrire selon d'autres scénarios.
Militairement, il s'agit d'arrêter la diplomatie de l'arrogance et de la menace, d'accepter que nous ne pouvons pas décider arbitrairement de la manière de traiter avec qui que ce soit et d'arrêter de pointer des missiles sur les drapeaux d'autres États.
Le plus compliqué et le plus risqué est de renoncer à la paix au sein même des États-Unis. Si les équilibres de pouvoirs mis en œuvre au niveau international sont rompus, les équilibres internes commenceront à vaciller et le système subira un remodelage.
Renoncer à la Pax Americana telle qu'elle existe ne signifie pas qu'il n'y a pas d'alternatives. Le concept de “pax” est large, et peut être interprété autrement par le système américain. Cependant, franchir cette étape implique de renoncer à une “tradition” de puissance mondiale, de passer par l'effondrement de l'ensemble du système national américain, puis de reconstruire une alternative.
Qu'est-ce que Make America Great Again voudra dire ? Rétablir l'hégémonie américaine dans le monde, ou reconstruire l'Amérique ?
https://strategic-culture.su/news/2024/11/21/in-beginning-was-pax-americana/
Le combat contre l’hégémonie Américaine passe nécessairement par l’effondrement de ce système que l’on a vu progressivement dévier vers la dystopie d’un monde unipolaire entièrement vassalisé par l’Hegemon US, Et ce, depuis les successeurs du président J.F Kennedy, pour aboutir à une « Grande » Amérique soumise à un avorton, Israël , et à une sionisation de la planète.
Nous nageons en pleine dystopie! N’est-il pas venu le temps d’une révolution planétaire ?…