👁🗨 “Je m'ennuie, donc je tire”, ou comment Tsahal cautionne la violence gratuite à Gaza
Des soldats décrivent l'absence quasi-totale de règles dans la guerre à Gaza, les soldats tirant à leur guise, brûlant les maisons, laissant des cadavres dans les rues, avec l'aval de leur hiérarchie.
👁🗨 “Je m'ennuie, donc je tire”, ou comment Tsahal cautionne la violence gratuite à Gaza
Par Oren Ziv, le 8 juillet 2024
Début juin, Al Jazeera a publié une série de vidéos troublantes révélant ce qu'il a qualifié d’“exécutions sommaires”, des soldats israéliens abattant plusieurs Palestiniens qui marchaient près de la route côtière dans la bande de Gaza, et en trois occasions distinctes. Dans chacun des cas, les Palestiniens ne semblaient pas armés, et ne représentaient aucune menace imminente pour les soldats.
De telles images sont rares, en raison des contraintes sévères auxquelles sont confrontés les journalistes dans l'enclave assiégée et du danger permanent pour leur vie. Mais ces exécutions, qui ne semblent pas avoir de justification sécuritaire, correspondent aux témoignages de six soldats israéliens qui ont parlé à +972 Magazine et à Local Call après leur libération du service actif à Gaza au cours des derniers mois. Corroborant les témoignages de témoins oculaires et de médecins palestiniens tout au long de la guerre, les soldats ont déclaré avoir été autorisés à ouvrir le feu sur les Palestiniens pratiquement à volonté, y compris sur les civils.
Les six sources - à l'exception d'une seule parlant sous couvert d'anonymat - ont raconté comment les soldats israéliens exécutent régulièrement des civils palestiniens simplement parce qu'ils pénètrent dans une zone que l'armée définit comme une “zone interdite”. Les témoignages dépeignent un paysage jonché de cadavres de civils laissés à l'abandon ou dévorés par des animaux errants. L'armée ne les dissimule qu'avant l'arrivée des convois d'aide internationale, afin que “les images de personnes en état de décomposition avancée ne soient pas diffusées”. Deux des soldats ont également fait état d'une politique systématique consistant à incendier les maisons palestiniennes après les avoir occupées.
Plusieurs sources ont décrit que tirer sans restriction permet aux soldats de se défouler ou de rompre avec la monotonie de leur routine quotidienne.
“Les gens veulent vivre l'événement [à fond]”, se souvient S., un réserviste qui a servi dans le nord de Gaza. “J'ai personnellement tiré quelques balles sans raison, dans la mer, sur un trottoir ou un bâtiment abandonné. Ils disent qu'il s'agit de ‘tirs ordinaires’, ce qui est un code pour dire ‘je m'ennuie, donc je tire’”.
Depuis les années 1980, l'armée israélienne refuse de divulguer ses règles en matière de tirs à balles réelles, malgré plusieurs pétitions adressées à la Haute Cour de justice. Selon le sociologue politique Yagil Levy, depuis la seconde Intifada, “l'armée n'a pas donné aux soldats de règles d'engagement écrites”, laissant ainsi une grande latitude à l'interprétation des soldats sur le terrain et de leurs commandants. En plus de contribuer à l'assassinat de plus de 38 000 Palestiniens, des sources ont déclaré que ces directives laxistes étaient également en partie responsables du nombre élevé de soldats israéliens tués par des tirs amis au cours des derniers mois.
“La liberté d'action était totale”, a déclaré B., un autre soldat qui a servi dans les forces régulières à Gaza pendant des mois, y compris dans le centre de commandement de son bataillon.
“S'il y a [ne serait-ce] que la moindre sensation de menace, pas besoin de se justifier, il suffit de tirer”. Lorsque les soldats voient quelqu'un s'approcher, “il est permis de tirer sur le centre de gravité [du corps], pas en l'air”, poursuit B.. “Il est permis de tirer sur tout le monde, jeunes filles, femmes âgées”.
B. a poursuivi en décrivant un incident survenu en novembre, au cours duquel des soldats ont tué plusieurs civils lors de l'évacuation d'une école proche du quartier Zeitoun de la ville de Gaza, qui servait d'abri aux Palestiniens déplacés. L'armée avait ordonné aux personnes évacuées de sortir par la gauche, vers la mer, plutôt que par la droite, où se trouvaient les soldats. Lorsqu'une fusillade a éclaté à l'intérieur de l'école, ceux qui ont fui le chaos qui s'est ensuivi ont été immédiatement pris pour cible.
“Des rumeurs circulaient selon lesquelles le Hamas voulait créer la panique”, explique B.. “Une bataille s'est engagée à l'intérieur, les gens ont fui. Certains sont partis vers la gauche, en direction de la mer, [mais] d'autres ont couru vers la droite, y compris des enfants. Tous ceux qui sont allés à droite ont été tués - 15 à 20 personnes. Il y avait un amoncellement de corps”.
On tirait à volonté, à tour de bras
B. a déclaré qu'il était difficile de distinguer les civils des combattants à Gaza, affirmant que les membres du Hamas “se promènent souvent sans leurs armes”. Mais de ce fait, “tout homme âgé de 16 à 50 ans est soupçonné d'être un terroriste”.
“Il est interdit de se promener, et toute personne qui se trouve dehors est suspecte”, poursuit B.. “Si nous voyons quelqu'un nous regarder par une fenêtre, c’est suspect. On tire. Tout contact [avec la population] met les soldats en danger, et il faut donc faire en sorte qu'il soit interdit d'approcher [les soldats] sous quelque prétexte que ce soit. [Les Palestiniens ndlr] ont compris que lorsque nous arrivons, ils doivent s'enfuir”.
Même dans des zones apparemment non peuplées ou désertées de Gaza, les soldats se sont livrés à des tirs intensifs dans le cadre d'une procédure connue sous le nom de “démonstration de présence”. S. a témoigné que ses camarades soldats
“tiraient beaucoup, même sans raison - quiconque veut tirer, quelle que soit la raison, fait feu”. Dans certains cas, a-t-il ajouté, cela avait pour but “de faire sortir les gens [de leurs cachettes] ou de faire acte de présence”.
M., un autre réserviste qui a servi dans la bande de Gaza, a expliqué que ces ordres émanaient directement des commandants de la compagnie ou du bataillon sur le terrain.
“Les fusillades sont fréquentes et débridées. Et pas seulement à l’arme légère : à coups de mitrailleuses, d’obus de mortier”.
Même en l'absence d'ordres venant d'en haut, M. a témoigné que les soldats sur le terrain font régulièrement la loi eux-mêmes.
“Les soldats ordinaires, les officiers subalternes, les commandants de bataillon - les soldats qui veulent tirer ont l'autorisation de le faire”.
S. se souvient d'avoir entendu à la radio qu'un soldat stationné dans une enceinte sécurisée avait tiré sur une famille palestinienne qui se promenait à proximité.
“Au début, ils disent ‘quatre personnes’, puis ‘deux enfants et deux adultes’, et finalement ils parlent ‘d'un homme, d'une femme, et de deux enfants’. Vous composez vous-même le tableau”.
Un seul des soldats interrogés dans le cadre de cette enquête a accepté d'être identifié par son nom : Yuval Green, un réserviste de 26 ans originaire de Jérusalem qui a servi dans la 55e brigade de parachutistes en novembre et décembre de l'année dernière (Green a récemment co-signé une lettre de 41 réservistes exprimant leur refus de continuer à servir à Gaza, suite à l'invasion de Rafah par l'armée).
“Il n'y avait aucune restriction sur les munitions”, a déclaré M. Green à +972 et à Local Call. “Les hommes tiraient juste pour tromper leur ennui”.
Green a décrit un incident survenu une nuit pendant la fête juive de Hanoukka en décembre, lorsque
“tout le bataillon a ouvert le feu simultanément comme un feu d'artifice, y compris avec des munitions traçantes [qui génèrent une lumière vive]. Cela a donné des couleurs folles, illuminant le ciel, et parce que [Hanoukka] est la ‘fête des lumières’, c'est devenu symbolique”.
C., un autre soldat qui a servi à Gaza, a expliqué que lorsque les soldats entendaient des coups de feu, ils communiquaient par radio pour savoir s'il y avait une autre unité militaire israélienne dans le secteur, et si ce n'était pas le cas, ils ouvraient le feu. “Les soldats tiraient comme ils voulaient, à tour de bras”. Mais comme le note C., la liberté de tir signifie que les soldats sont souvent exposés au risque considérable de tirs amis, qu'il qualifie de
“plus dangereux que le Hamas”. “À plusieurs reprises, des soldats de Tsahal ont tiré dans notre direction. Nous n'avons pas réagi, nous avons vérifié à la radio mais personne n'a été blessé”.
À l'heure où nous écrivons ces lignes, 324 soldats israéliens ont été tués à Gaza depuis le début de l'invasion terrestre, dont au moins 28 par des tirs amis, selon l'armée. D'après l'expérience de M. Green, ce type d'incident est le “principal facteur” de mise en danger de la vie des soldats. “Il y a eu beaucoup [de tirs amis], ça m'a rendu fou”, a-t-il déclaré.
Pour Green, les règles d'engagement témoignent également d'une profonde indifférence vis-à-vis du sort des otages.
“Ils m'ont parlé d'une pratique consistant à faire exploser les tunnels, et je me suis dit que s'il y avait des otages [dans ces tunnels], cela les tuerait”.
Après que les soldats israéliens à Shuja'iyya ont tué trois otages agitant des drapeaux blancs en décembre, pensant qu'il s'agissait de Palestiniens, Green dit avoir été furieux, mais on lui a dit “on ne peut rien y faire”. Les commandants ont affiné les procédures en disant : “Montrez-Vous attentifs et réactifs, nous sommes dans une zone de combat, restons vigilants”.
B. confirme que même après l’incident de Shuja'iyya, “contraire aux ordres” de l'armée, les règles relatives aux tirs à découvert n'ont pas changé.
“Quant aux otages, nous n'avions pas de directive spécifique”, se souvient-il. “Les hauts gradés de l'armée ont déclaré qu'après la fusillade sur les otages, ils ont informé [les soldats sur le terrain]. [Mais ils ne nous ont rien dit].”
Lui et ses compagnons de combat n'ont entendu parler des tirs sur les otages que deux semaines et demie après l'incident, une fois qu'ils ont quitté Gaza.
“J'ai entendu des déclarations [d'autres soldats] disant que les otages étaient morts, qu'ils n'avaient aucune chance, et qu'ils ont été abandonnés”, a indiqué M. Green. “C'est ce qui m'a le plus dérangé... ils n'arrêtaient pas de dire : ‘Nous sommes ici pour les otages’, mais il est clair que la guerre nuit aux otages. C'est ce que je pensais à l'époque, et aujourd'hui, cela s'avère fondé”.
Un bâtiment est détruit, et c’est vraiment marrant
A., un officier qui a servi dans la direction des opérations de l'armée, a témoigné que la salle des opérations de sa brigade - qui coordonne les combats depuis l'extérieur de Gaza, en approuvant les attaques et en prévenant les tirs amis - n'a pas reçu d'ordres clairs concernant la conduite à tenir en cas de fusillade, pour les transmettre aux soldats sur le terrain.
“À partir du moment où nous avons pénétré dans le périmètre, il n'y a jamais eu de briefing”, a-t-il déclaré. “Nous n'avons pas reçu d’instructions de la hiérarchie à transmettre aux soldats et aux commandants de bataillon”.
Il a noté que des instructions avaient été données pour ne pas tirer sur les itinéraires humanitaires, mais qu'ailleurs,
“on remplit les blancs, en l'absence de toute autre directive. C'est selon le principe ‘Si on l'interdit ailleurs, ici, on peut’”.
A. explique que les tirs sur “les hôpitaux, les cliniques, les écoles, les institutions religieuses [et] les bâtiments des organisations internationales” requièrent tout de même une autorisation spéciale. Mais dans la pratique,
“je peux compter sur les doigts d'une main les cas où l'on nous a dit de ne pas tirer. Même pour des bâtiments sensibles comme les écoles, [l'autorisation] n'est qu'une formalité”.
“En général”, poursuit A., “l'état d’esprit qui règne dans la salle des opérations est le suivant : ‘Tirez d'abord, posez des questions ensuite’. Personne ne versera de larme si nous détruisons une maison alors que ce n'était pas nécessaire, ou si nous tirons sur quelqu'un qu'on n'avait pas besoin d'abattre”.
A. a déclaré qu'il avait connaissance de cas où des soldats israéliens avaient tiré sur des civils palestiniens entrés dans leur zone d'opération, ce qui correspond à l’enquête de Haaretz sur les “zones de mort” dans les secteurs de Gaza occupés par l'armée.
“C'est la règle par défaut. Aucun civil n'est censé se trouver dans la zone, c'est le principe. Si nous repérons quelqu'un à une fenêtre, alors on tire, et on le tue”.
A. ajoute que les rapports ne permettent pas toujours de savoir si les soldats ont tiré sur des militants ou sur des civils non armés - et
“souvent, on sent bien que la personne a été piégée dans un contexte et qu'on a ouvert le feu”.
Mais cette ambiguïté sur l'identité des victimes signifie que, pour A., les rapports militaires sur le nombre de membres du Hamas tués ne sont pas fiables.
“Dans la salle de commandement, chaque personne tuée est considérée comme un terroriste”, a-t-il témoigné.
“L'objectif est de comptabiliser le nombre de [terroristes] tués dans la journée”, a poursuivi A.. “Chaque soldat veut montrer qu'il est le meilleur. On considère que tous les hommes sont des terroristes. Parfois, un commandant demande soudainement des chiffres, et l'officier de la division court alors de brigade en brigade pour parcourir la liste du système informatique militaire et faire le décompte.”
Le témoignage d'A. corrobore un reportage récent du média israélien Mako, concernant une frappe de drone par une brigade qui a tué des Palestiniens dans la zone d'opération d'une autre brigade. Des officiers des deux brigades se sont consultés pour savoir laquelle devait enregistrer les exécutions.
“Qu’est-ce que ça peut faire ? Enregistrez-les tous les deux”, a déclaré l'un d'eux à l'autre, indique la publication.
Au cours des premières semaines suivant l'attaque du 7 octobre menée par le Hamas, se souvient A., “on se sentait très coupables que cela se soit produit sous notre surveillance”, un sentiment partagé par le grand public israélien - et qui s'est rapidement mué en volonté de représailles.
“L'ordre de se venger n'a pas été explicite”, a déclaré A., “mais lorsqu'il faut prendre une décision, les instructions, les ordres et les protocoles [concernant les affaires “sensibles”] n'ont qu'une faible incidence”.
Lorsque des drones diffusaient des images d'attaques à Gaza,
“il y avait des cris de joie dans la salle de commandement”, a déclaré A.. “De temps en temps, un bâtiment s'effondre... et l'on se dit : ‘Wow, c'est dingue, trop bien’”.
A. relève l'ironie selon laquelle ce qui a motivé les appels à la vengeance des Israéliens, c'est la conviction que les Palestiniens de Gaza se sont réjouis des morts et des destructions du 7 octobre. Pour justifier l'absence de distinction entre civils et combattants, les gens ont recours à des déclarations telles que “Ils ont distribué des bonbons”, “Ils ont dansé le 7 octobre” ou encore “Ils ont élu le Hamas”... Pas tout le monde, mais bon nombre de gens pensent que l'enfant d'aujourd'hui [est] le terroriste de demain.
“Moi aussi, soldat plutôt de gauche, j'ai très vite oublié qu'il s'agissait de vraies maisons [à Gaza]”, dit A. à propos de son expérience dans la salle de commandement. “J'avais l'impression d'être dans un jeu vidéo. Ce n'est qu'au bout de deux semaines que j'ai réalisé que ces bâtiments en train de s'effondrer étaient bien réels : s'il y a des habitants [dedans], alors [les bâtiments se sont écroulés] sur eux, et si ce n'est pas le cas, ils se sont effondrés avec tout ce qu'ils contenaient”.
Une effroyable odeur de mort
Plusieurs soldats ont témoigné que la politique de tir permissive a habilité les unités israéliennes à tuer des civils palestiniens, même lorsqu'ils sont identifiés comme tels au préalable. D., réserviste, a déclaré que sa brigade était stationnée à proximité de deux couloirs de circulation dits “humanitaires”, l'un pour les organisations d'aide, et l'autre pour les civils fuyant du nord vers le sud de la bande de Gaza. Dans la zone opérationnelle de sa brigade, une politique de “ligne rouge, ligne verte” a été mise en place, délimitant des zones où il était interdit aux civils de pénétrer.
Selon D., les organisations humanitaires étaient autorisées à se rendre dans ces zones moyennant une coordination préalable (l'interview a été réalisée avant qu'une série de frappes de précision israéliennes ne tue sept employés de la World Central Kitchen), mais pour les Palestiniens, c'était différent.
“Quiconque traversait la zone verte devenait une cible potentielle”, explique D., affirmant que ces zones étaient signalées aux civils. “S'ils franchissent la ligne rouge, vous le signalez à la radio et vous n'avez pas besoin d'attendre la permission, vous pouvez tirer”.
Pourtant, D. affirme que des civils se rendent souvent dans les zones où passent les convois d'aide afin de récupérer les restes qui pourraient tomber des camions. Néanmoins, la politique consiste à tirer sur quiconque tente d'entrer.
“Les civils sont clairement des réfugiés, ils sont désespérés, ils n'ont plus rien”, a-t-il déclaré. Pourtant, au cours des premiers mois de la guerre, “il y avait chaque jour deux ou trois incidents impliquant des innocents ou des personnes soupçonnées d'avoir été envoyées par le Hamas comme guetteurs”, sur lesquels tiraient les soldats de son bataillon.
Les soldats ont témoigné que dans toute la bande de Gaza, des cadavres de Palestiniens en civil sont restés éparpillés le long des routes et sur les terrains vagues.
“Toute la zone était jonchée de cadavres”, a déclaré S., un réserviste. “Des chiens, des vaches et des chevaux ont également survécu aux bombardements et n'ont nulle part où aller. Nous ne pouvons pas les nourrir et nous ne voulons pas non plus qu'ils s'approchent trop près. C'est pourquoi on voit parfois des chiens se promener avec des morceaux de corps en décomposition. Il y règne une effroyable odeur de mort”.
Mais avant que les convois humanitaires n'arrivent, les corps sont enlevés.
“Un D-9 [bulldozer Caterpillar] arrive avec un char, et nettoie la zone des cadavres, les enterre sous les décombres ou les pousse sur le côté pour que les convois ne les voient pas - [pour que] les images de personnes à un stade avancé de décomposition ne soient pas diffusées”, raconte-t-il.
“J'ai vu beaucoup de civils [palestiniens] tués - des familles, des femmes, des enfants”, poursuit S.. “Il y a bien plus de morts que ce qui est publié. Nous étions dans un petit périmètre. Chaque jour, au moins un ou deux [civils] étaient tués [parce qu'ils] marchaient dans une zone interdite. Je ne sais pas qui est terroriste et qui ne l'est pas, mais en général, ils ne portaient pas d'armes.”
M. Green a déclaré que lorsqu'il est arrivé à Khan Younis à la fin du mois de décembre,
“nous avons vu une masse indistincte à l'extérieur d'une maison. Nous avons réalisé qu'il s'agissait d'un corps en distinguant une jambe. La nuit, des chats l'ont mangé. Puis quelqu'un est venu et l'a déplacé”.
Une source non militaire qui a parlé à +972 et à Local Call après s’être rendue dans le nord de Gaza a également rapporté avoir vu des corps éparpillés dans les environs.
“Près du camp militaire situé entre le nord et le sud de la bande de Gaza, nous avons vu une dizaine de gens abattus d'une balle dans la tête, apparemment par un tireur embusqué, [sans doute alors qu'ils] tentaient de retourner vers le nord”, a-t-il déclaré. “Les corps étaient en décomposition, des chiens et des chats traînaient autour”.
“Ils ne s'occupent pas des corps”, a déclaré B. à propos des soldats israéliens à Gaza. “S'ils gênent, ils sont poussés sur le côté. Les morts ne sont pas enterrés. Les soldats marchent sur les corps par inadvertance”.
Le mois dernier, Guy Zaken, un soldat qui conduisait des bulldozers D-9 à Gaza, a témoigné devant une commission de la Knesset que lui et son équipe avaient “écrasé des centaines de gens, morts ou vivants”. Un autre soldat avec lequel il a servi s'est ensuite suicidé.
En partant, on brûle la maison
Deux des soldats interrogés dans le cadre de cet entretien ont également décrit comment l'incendie des maisons palestiniennes est devenu une pratique courante parmi les soldats israéliens, comme l'a rapporté Haaretz pour la première fois en janvier. M. Green a été personnellement témoin de deux cas de ce genre - le premier à l'initiative d'un soldat et le second sur ordre du commandement - et sa frustration à l'égard de cette politique est l'une des raisons qui l'ont poussé à refuser de poursuivre son service militaire.
Selon son témoignage, lorsque les soldats investissent une maison, la politique est la suivante : “Quand vous partez, brûlez la maison”. Pour Green, cela n'avait aucun sens : “en aucun cas” le centre du camp de réfugiés ne pouvait faire partie d'une zone de sécurité israélienne qui aurait pu justifier une telle destruction.
“Nous sommes dans ces maisons non pas parce qu'elles appartiennent à des combattants du Hamas, mais parce qu'elles nous servent sur le plan opérationnel”, a-t-il fait remarquer. “Ce sont des maisons de deux ou trois familles - les détruire signifie qu'elles se retrouveront sans abri.”
“J'en ai parlé au commandant de ma compagnie, qui m'a répondu qu'aucun équipement militaire ne pouvait être laissé sur place si nous ne voulons pas que l'ennemi découvre nos stratégies de combat”, a poursuivi le lieutenant-colonel Green. “J'ai dit que je procéderai à une fouille [pour m'assurer] qu'aucune [preuve de] nos stratégies de combat ne reste sur place. [Le commandant de la compagnie m'a donné des explications tirées tout droit d’un appel à la vengeance. Il a déclaré qu'on les brûleraient parce que des D-9 ou des dispositifs explosifs spéciaux du génie [qui auraient pu détruire la maison par d'autres moyens] n'étaient pas disponibles. Il a reçu des ordres, et cela ne l'a pas perturbé”.
“Avant de partir, on brûle la maison - toutes les maisons”, répète B. “Ces ordres sont confirmés par les commandants de bataillon, pour que les Palestiniens ne puissent pas revenir, et qu’au cas où nous aurions laissé des munitions ou de la nourriture, les terroristes ne puissent pas s'en servir.”
Avant de partir, les soldats empilent matelas, meubles et couvertures, et
“avec du carburant ou des bouteilles de gaz”, note B., “la maison brûle sans problème, une vraie fournaise”.
Au début de l'invasion terrestre, sa compagnie occupait les maisons quelques jours, puis repartait. Selon B., ils
“ont brûlé des centaines de maisons. Il est arrivé que des soldats mettent le feu à un étage et que d'autres soldats se trouvant un étage au-dessus soient obligés de fuir à travers les flammes dans les escaliers ou s'asphyxient avec la fumée”.
M. Green a déclaré que les destructions laissées par l'armée à Gaza étaient “inimaginables”. Au début du conflit, a-t-il raconté, les soldats avançaient entre des maisons situées à 50 mètres les unes des autres, et de nombreux soldats “les considéraient [comme] une boutique de souvenirs”, pillant tout ce que les habitants n'avaient pas réussi à emporter avec eux.
“Au bout d'un moment, on meurt d'ennui, [après] des jours d'attente”, a déclaré M. Green. “On dessine sur les murs, on écrit des grossièretés. On joue avec les vêtements, on trouve les photos d'identité oubliées, on accroche la photo de quelqu'un parce que c'est drôle. Nous utilisions tout ce que nous trouvions : matelas, nourriture, l'un d'entre nous a trouvé un billet de 100 NIS (environ 27 dollars) et l'a pris.”
“Nous détruisions tout ce que nous voulions”, explique M. Green. “Pas par désir de détruire, mais par pure indifférence pour tout ce qui appartient aux [Palestiniens]. Chaque jour, un D-9 démolit des maisons. Je n'ai pas pris de photos avant et après, mais je n'oublierai jamais un très beau quartier ... réduit à l'état de poussière”.
Le porte-parole de l'armée israélienne a répondu à notre demande de commentaire par la déclaration suivante :
“Des instructions de tir à découvert ont été données à tous les soldats des Forces de défense israéliennes qui se battent dans la bande de Gaza et sur les frontières au moment de leur engagement dans les combats. Ces instructions reflètent le droit international que les troupes israéliennes sont tenues de respecter. Les instructions de tir à découvert sont régulièrement revues et mises à jour à la lumière de l'évolution de la situation opérationnelle et du renseignement, et approuvées par les plus hauts responsables de l'armée israélienne.
“Les instructions relatives aux tirs à découvert apportent une réponse pertinente à toutes les situations opérationnelles et permettent à nos unités de disposer, en cas de risque, d'une liberté d'action opérationnelle totale pour éliminer les menaces. Ces instructions donnent aux soldats les moyens de faire face à des situations complexes en présence de la population civile, et mettent l'accent sur une réduction des risques pour les personnes non identifiées comme ennemies, ou qui ne représentent pas de menace pour leur vie. Les directives de base relatives aux instructions de tir à découvert telles que celles décrites dans la question ne sont pas identifiées et, dans la mesure où elles ont été transmises, sont en contradiction avec les ordres de l'armée.
“Tsahal enquête sur leurs activités et tire des leçons des événements opérationnels, y compris l'événement tragique du meurtre accidentel de feu Yotam Haim, Alon Shamriz, et Samer Talalka. Les conclusions de l'enquête sur l'incident ont été transmises aux forces de combat sur le terrain afin d'éviter que ce type d'incident ne se reproduise.
“Dans le cadre de la destruction des capacités militaires du Hamas, il est nécessaire, entre autres, de détruire ou d'attaquer les bâtiments où l'organisation terroriste installe des infrastructures de combat. Il s'agit également des bâtiments que le Hamas convertit régulièrement en QG de combat. Par ailleurs, le Hamas utilise systématiquement à des fins militaires des bâtiments publics censés servir à des fins civiles. Les ordres de l'armée réglementent le processus d'approbation, de sorte que les dégradations de sites sensibles doivent être approuvées par des commandants haut gradés qui prennent en compte l'impact des dommages causés à la structure sur la population civile, et ce face à la nécessité militaire d'attaquer ou de démolir la structure. La prise de décision de ces commandants supérieurs se fait de manière méthodique et réfléchie.
“L'incendie de bâtiments non nécessaires à des fins opérationnelles va à l'encontre des ordres de l'armée et des valeurs de Tsahal.
“Dans le cadre des combats et sous réserve des ordres des armées, il est possible d'utiliser les biens de l'ennemi à des fins militaires vitales, ainsi que de s'emparer des biens d'organisations terroristes comme butin de guerre sous réserve des ordres de l'armée. Par ailleurs, la prise de biens à des fins privées constitue un acte de pillage et est interdite par la loi sur la juridiction militaire. Les incidents au cours desquels les soldats ont agi de manière non conforme aux ordres et à la loi feront l'objet d'une enquête”.
* Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
https://www.972mag.com/israeli-soldiers-gaza-firing-regulations/
La question que l’on se pose est: Comment peut-on, décemment, mener une vie ordinaire après avoir participé à de telles orgies meurtrières ?
L’indifférence affichée par les auteurs de ces abominations est déjà pathologique, il s’agit, comme souvent dans de semblables situations, d’une sorte de folie collective qui dépouille les soldats de tout frein moral, et de la conscience même de commettre des actes odieux.
C’est, tout simplement, hallucinant !…