đâđš La libertĂ© d'Assange pourrait ĂȘtre au cĆur de la coopĂ©ration australienne dans la guerre froide menĂ©e par les Ătats-Unis contre la Chine
Des lĂ©gislateurs amĂ©ricains prĂ©viennent que si l'extradition & les poursuites se concrĂ©tisent, ânous risquons fortement de voir nos nĂ©gociations bilatĂ©rales avec l'Australie gravement compromises".
đâđš La libertĂ© d'Assange pourrait ĂȘtre au cĆur de la coopĂ©ration australienne dans la guerre froide menĂ©e par les Ătats-Unis contre la Chine
Par Marjorie Cohn, le 23 octobre 2023
L'enjeu est de taille : le Premier ministre australien Anthony Albanese arrive aujourd'hui à Washington pour rencontrer le président Joe Biden. Le gouvernement américain espÚre obtenir le soutien de l'Australie dans ses velléités de guerre froide contre la Chine.
L'Australie est l'un des plus proches alliĂ©s des Ătats-Unis. L'Australie, les Ătats-Unis et le Royaume-Uni forment âAUKUSâ, une alliance trilatĂ©rale de âsĂ©curitĂ©â dans l'Indo-Pacifique.
Il s'agit aussi d'une question cruciale pour l'Australie. Avant son dĂ©part pour les Ătats-Unis, M. Albanese a dĂ©clarĂ© au Parlement que le transfert Ă l'Australie de la technologie des sous-marins nuclĂ©aires amĂ©ricains et britanniques dans le cadre d'AUKUS Ă©tait essentiel pour l'avenir de l'alliance.
Un autre point Ă l'ordre du jour de la rencontre entre M. Albanese et M. Biden est l'extradition du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, citoyen australien. IncarcĂ©rĂ© depuis plus de quatre ans dans une prison londonienne de haute sĂ©curitĂ©, Julian Assange a Ă©tĂ© inculpĂ© par l'administration Trump en vertu de la loi sur l'espionnage pour les rĂ©vĂ©lations faites par WikiLeaks en 2010-2011 sur les crimes de guerre commis par les Ătats-Unis en Irak, en Afghanistan et Ă GuantĂĄnamo Bay. S'il est extradĂ© du Royaume-Uni vers les Ătats-Unis et condamnĂ©, M. Assange risque jusqu'Ă 175 ans de prison.
L'administration Obama, qui a inculpĂ© plus de lanceurs dâalerte en vertu de la loi sur l'espionnage que toutes les administrations prĂ©cĂ©dentes rĂ©unies, a refusĂ© d'inculper M. Assange en raison du âproblĂšme du New York Timesâ. En effet, lâinculpation de M. Assange par l'administration impliquerait logiquement dâinculper le New York Times et d'autres mĂ©dias qui ont aussi publiĂ© des secrets militaires et diplomatiques classifiĂ©s.
Mais au lieu de rejeter l'acte d'accusation et la demande d'extradition, l'administration Biden les poursuit avec détermination.
En aoĂ»t, M. Albanese a dĂ©clarĂ© que son gouvernement s'opposait fermement aux poursuites contre Assange. La libertĂ© d'Assange est âlargement considĂ©rĂ©e comme un test de l'influence de l'Australie sur l'administration Bidenâ, a rapportĂ© Associated Press.
âLe Premier ministre est ici pour demander que la demande d'extradition de Julian Assange soit abandonnĂ©e. Cette requĂȘte Ă©mane du plus proche alliĂ© des Ătats-Unis Ă un moment oĂč les Ătats-Unis recherchent le soutien de l'Australie en tant que rempart, Ă la fois financier et militaire, contre la menace perçue de la Chineâ,
a déclaré Vincent De Stefano, directeur national de l'organisation Assange Defense, à Truthout.
En septembre, une dĂ©lĂ©gation multipartite du parlement australien s'est rendue Ă Washington pour plaider en faveur de l'abandon des poursuites Ă l'encontre d'Assange. cette dĂ©lĂ©gation a rencontrĂ© des sĂ©nateurs et des membres du CongrĂšs amĂ©ricain, le DĂ©partement d'Ătat, le DĂ©partement de la Justice, ainsi que des think tanks et des ONG de premier plan.
La dĂ©lĂ©gation est arrivĂ©e aprĂšs que 63 membres de gauche, de centre et de droite du parlement australien ont publiĂ© en pleine page du Washington Post une lettre pour exhorter Albanese et Biden Ă trouver une solution diplomatique Ă l'affaire Assange. La dĂ©claration de ce qu'ABC News a qualifiĂ© de âcoalition improbableâ a indiquĂ© qu'il Ă©tait âinacceptable par principeâ que M. Assange soit inculpĂ© en vertu de la loi sur l'espionnage et a soulignĂ© que âla dĂ©cision d'engager des poursuites en premier lieu Ă©tait une dĂ©cision politiqueâ.
Les lĂ©gislateurs australiens ont mis en garde contre âune vague de rĂ©actions virulentes et soutenues en Australieâ en cas d'extradition de M. Assange. Au moins 90 % des Australiens estiment que les poursuites contre M. Assange doivent ĂȘtre abandonnĂ©es et qu'il doit pouvoir rentrer chez lui, en Australie.
âIgnorer la demande du Premier ministre concernant l'extradition d'un citoyen australien, dont le seul crime est d'ĂȘtre un journaliste honnĂȘte, tout en demandant Ă notre alliĂ© des investissements et un engagement considĂ©rables, est une insulte majeure, un vĂ©ritable camoufletâ, a dĂ©clarĂ© M. De Stefano.
Gabriel Shipton, le frĂšre de M. Assange, estime que l'inculpation
âvient compliquer les relations entre l'Australie et les Ătats-Unis [...] qui sont actuellement cruciales, notamment en raison des tensions entre les Ătats-Unis et la Chine et de l'espĂšce de pivot stratĂ©gique qui est en train de s'opĂ©rerâ.
La coopĂ©ration de l'Australie Ă la guerre froide menĂ©e par les Ătats-Unis contre la Chine n'est pas acquise. Dans un rapport de recherche publiĂ© le 12 octobre, le Congressional Research Service a dĂ©clarĂ© que l'Australie pourrait ne pas ĂȘtre disposĂ©e Ă s'associer aux Ătats-Unis dans une guerre contre la Chine. Il cite des dĂ©clarations faites en mars par Richard Marles, le ministre australien de la DĂ©fense, qui prĂ©cisait que l'accord AUKUS ne prĂ©voyait pas d'engagement prĂ©alable de l'Australie Ă soutenir les Ătats-Unis dans un conflit avec TaĂŻwan. La position de la Chine selon laquelle TaĂŻwan fait partie d'une Chine unique n'est pas contestable. Bien que les Ătats-Unis aient toujours Ă©tĂ© d'accord avec cette politique d'une seule Chine, des dĂ©clarations rĂ©centes indiquent qu'ils pourraient plutĂŽt soutenir l'indĂ©pendance de TaĂŻwan. L'opposition au projet AUKUS est de plus en plus forte en Australie, y compris au sein du parti travailliste au pouvoir.
En novembre dernier, The New York Times, Le Monde, The Guardian, Der Spiegel et El PaĂs ont co-signĂ© une lettre ouverte exhortant le gouvernement amĂ©ricain Ă rejeter les accusations portĂ©es contre M. Assange en vertu de lâEspionage Act pour avoir publiĂ© des secrets militaires et diplomatiques classifiĂ©s. âPublier n'est pas un crimeâ, peut-on lire dans la lettre. âLe gouvernement amĂ©ricain doit mettre fin aux poursuites engagĂ©es contre Julian Assange pour avoir publiĂ© des secrets.â
Les reprĂ©sentants Jim McGovern (D-Massachusetts) et Thomas Massie (R-Kentucky) font actuellement circuler une lettre bipartite adressĂ©e Ă Joe Biden et destinĂ©e Ă recueillir les signatures des membres du CongrĂšs. Ils Ă©crivent pour âfortement inciterâ l'administration Biden Ă retirer la demande d'extradition et Ă mettre fin Ă toutes les poursuites Ă l'encontre d'Assange.
La lettre du CongrĂšs rappelle que l'Espionage Act visait Ă punir la divulgation de secrets d'Ătat Ă des âgouvernements ennemisâ, et non Ă âpunir les journalistesâ. Elle ne doit pas âpunir les journalistes et les lanceurs d'alerte qui tentent d'informer le public sur de graves enjeux que certains reprĂ©sentants du gouvernement amĂ©ricain pourraient prĂ©fĂ©rer garder secretsâ. Les signataires prĂ©viennent que si l'extradition et les poursuites judiciaires ont lieu, ânous risquons fortement de voir nos nĂ©gociations bilatĂ©rales avec l'Australie gravement compromisesâ.
L'appel interjetĂ© par M. Assange contre l'arrĂȘtĂ© d'extradition est en cours devant la Haute Cour du Royaume-Uni. La Cour ayant repris ses activitĂ©s, elle pourrait bientĂŽt rejeter l'appel de M. Assange. M. Assange adresserait alors une demande de recours Ă la Cour europĂ©enne des droits de l'homme. Mais mĂȘme si cette Cour Ă©met une injonction pour empĂȘcher l'extradition, il n'est pas garanti que le Royaume-Uni l'honore.
* Marjorie Cohn est professeur Ă©mĂ©rite Ă la Thomas Jefferson School of Law, ancienne prĂ©sidente de la National Lawyers Guild et membre des conseils consultatifs nationaux d'Assange Defense et de Veterans For Peace, ainsi que du bureau de l'Association internationale des juristes dĂ©mocrates. Elle est la doyenne fondatrice de l'AcadĂ©mie populaire de droit international et la reprĂ©sentante des Ătats-Unis au conseil consultatif continental de l'Association des juristes amĂ©ricains. Ses ouvrages comprennent Drones and Targeted Killing : Legal, Moral and Geopolitical Issues. Elle est co-animatrice de la radio "Law and Disorder".