👁🗨 Le pari des États du Golfe, pour l’instant neutres, face au bras de fer Iran-Israël
Les États-Unis luttent pour conserver leur influence, tandis qu'Israël joue ce qui pourrait être sa dernière carte. La question demeure : quelle est la position des États du Golfe ?
👁🗨 Le pari des États du Golfe, pour l’instant neutres, face au bras de fer Iran-Israël
Par Mawadda Iskandar, le 4 novembre 2024
Avec la promesse de riposte de l'Iran contre Israël, les États du Golfe sont confrontés à un numéro d'équilibriste, pris entre la revendication d'une autonomie et une dépendance croissante à l'égard de la sécurité des États-Unis, alors que l'Axe de la résistance jouit d'une popularité sans précédent dans la région.
Les signes d'une réponse iranienne imminente à la frappe aérienne israélienne sur les intérêts militaires iraniens le mois dernier se précisent. Les déclarations officielles de Téhéran suggèrent qu'une riposte militaire est inévitable et pourrait avoir lieu avant les élections américaines du 5 novembre. Certains rapports indiquent qu'elle pourrait être lancée depuis le territoire irakien afin d'enrayer le cycle de l'escalade qui a débuté le 1er avril après que Tel-Aviv a pris pour cible le consulat iranien à Damas.
Les deux pays cherchent à établir un nouvel équilibre en matière de dissuasion, mais avec des objectifs très différents. L'Iran, dont la souveraineté a été violée à plusieurs reprises, met en garde contre le danger que représentent les ambitions expansionnistes d'Israël dans la région, tandis qu'Israël, en tant qu'agresseur, semble vouloir entraîner toute la région dans le chaos, en misant sur le soutien indéfectible des États-Unis.
Deux camps distincts ont émergé : d'un côté, l'alliance israélo-américaine et ses partisans, et de l'autre, les pays de l'Axe de la Résistance, qui ont engagé la “bataille de l'unité” en soutien à Gaza. Entre ces deux factions, un troisième groupe cherche la neutralité, ne voulant pas choisir de camp de peur de compromettre ses propres intérêts.
Les États-Unis luttent pour conserver leur influence, tandis qu'Israël joue ce qui pourrait être sa dernière carte. La question demeure : quelle est la position des États du Golfe ?
Restrictions de l'espace aérien et diplomatie du Golfe
Les États du Golfe ont unanimement condamné les frappes israéliennes du 26 octobre sur des sites iraniens, en riposte aux attaques de missiles lancées par Téhéran au début du mois dernier, à la suite d'assassinats notoires de dirigeants de la résistance perpétrés par l'État d'occupation.
Les déclarations du Conseil de coopération du Golfe (CCG), de l'Arabie saoudite, du Qatar, de Bahreïn, des Émirats arabes unis, du Koweït et d'Oman ont condamné ces frappes comme des violations de la souveraineté iranienne, aggravant les tensions dans une Asie de l'Ouest déjà instable.
L'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar ont adopté une posture ferme, refusant de permettre à Israël d'utiliser leur espace aérien pour lancer de nouvelles frappes contre l'Iran, une position reprise par la Jordanie, qui a été amenée à nier officiellement avoir permis à Israël d'utiliser son espace aérien pour attaquer la République islamique.
Cette approche a rassuré Téhéran, qui avait menacé de riposter avec force contre tout pays qui faciliterait les attaques israéliennes. Ces messages diplomatiques ont coïncidé avec l'ouverture par l'Iran de nouvelles voies de dialogue, notamment la rencontre du président Masoud Pezeshkian avec des représentants du Conseil de coopération du Golfe, suivie de la tournée diplomatique du ministre des Affaires étrangères Abbas Araqchi au Liban, en Syrie, en Arabie saoudite, au Qatar, au Bahreïn, au Koweït, en Irak, à Oman, en Jordanie, en Égypte et en Turquie.
Bien qu'Amman affirme que son espace aérien n'a pas été utilisé lors de la récente attaque, des vidéos ont été diffusées montrant des avions de combat israéliens survolant le ciel jordanien. De même, l'Arabie saoudite a affirmé que son espace aérien n'a pas été utilisé lors des frappes, soulevant des questions sur la façon dont les avions israéliens se sont ravitaillés sur de si longues distances. Israël a par la suite admis avoir utilisé des avions de ravitaillement pour contourner les restrictions de l'espace aérien du Golfe Persique.
S'adressant à The Cradle, l'analyste militaire libanais Omar Maarabouni affirme
qu’“en principe, sur la base et en relation avec la récente attaque israélienne, un groupe de pays du Golfe, mené par l'Arabie saoudite, a déclaré qu'il avait empêché les Israéliens de traverser leur espace aérien, et c'est là une chose que les radars iraniens peuvent confirmer ou infirmer, et en effet la déclaration officielle iranienne confirme que ces avions n'ont pas traversé l'espace aérien du Golfe”.
M. Maarabouni ajoute que les accords entre les États-Unis et les États du golfe sont de nature défensive, permettant à ces États d'empêcher l'utilisation des bases américaines à des fins offensives contre l'Iran, d'autant que de meilleures relations avec l'Iran sont aujourd'hui dans leur intérêt. En ce qui concerne les plans israéliens alternatifs, Maarabouni déclare :
“Il est tout à fait clair que les avions israéliens ont emprunté le chemin associé à la Syrie puis à l'Irak en direction de l'Iran, et nous parlons donc d'une distance de 2 000 km aller-retour. C'est ce qu'Israël tenait à éviter concernant la question du ravitaillement, car les avions F-35 et F-15 ne peuvent parcourir des distances supérieures à 2 200 km sans avoir besoin de ravitaillement.”
La Jordanie, ajoute-t-il, se trouve dans une position délicate, ayant affirmé que les missiles iraniens ont violé sa souveraineté, bien que ces missiles aient voyagé à des altitudes dépassant les limites reconnues par le droit international de l'espace aérien. Comme le souligne M. Maarabouni,
“Celui qui a violé la souveraineté jordanienne est Israël, qui a tiré des missiles de défense aérienne dans l'espace aérien jordanien pour intercepter les missiles iraniens, mais on ne voit pas très bien pourquoi la Jordanie a pris la responsabilité d'imputer la violation de sa souveraineté à la fois à l'Iran et à Israël.”
Le pétrole en première ligne
Les États du Golfe craignent d'être entraînés dans l'intensification du conflit, d'autant qu'ils tentent de clore le chapitre de leur guerre ratée au Yémen, qui s'est retournée contre eux à la suite d'attaques dévastatrices contre les installations de la société Aramco, très prisée par l'Arabie saoudite, en 2019.
Ces attaques ont exposé la vulnérabilité du cadre de sécurité “pétrole contre protection” sous la houlette des États-Unis. Dans leurs récentes ouvertures à l'Iran, les États du Golfe ont également exhorté Washington à faire pression sur Israël pour qu'il ne prenne pas pour cible les infrastructures pétrolières iraniennes, mettant en garde contre les conséquences désastreuses pour les marchés mondiaux de l'énergie.
Des sources du Golfe, s'exprimant sous le couvert d'anonymat, ont informé The Cradle que si les États du Golfe avaient conscience du moment choisi pour l'attaque israélienne, ils étaient prêts à jouer un rôle de médiateur avec les États-Unis si la situation devait s'envenimer.
Après l'échec de l'attaque, ces États se sont empressés de publier des déclarations de condamnation, soulignant leur refus d'être entraînés dans des hostilités directes contre Téhéran, malgré leur approbation discrète - et même leur encouragement - d'actions susceptibles de saper l'influence iranienne ou ses ambitions nucléaires. Les monarchies du Golfe sont désireuses de se protéger de tout revers dans un contexte de colère mondiale croissante face aux atrocités commises à Gaza et au Liban, qui ont suspendu les efforts de normalisation avec Israël.
L'intervention des États-Unis : une arme à double tranchant
La Maison Blanche a mis en garde l'Iran contre des représailles aux frappes israéliennes, affirmant que les États-Unis soutiendraient Israël en cas d'attaque et laissant entendre que Washington “ne pourrait pas retenir” Tel-Aviv en cas de nouvelles attaques de la part de l'Iran.
L'ancien conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, s'est vanté qu'Israël utiliserait l'espace aérien du golfe Persique en cas de besoin et que
“ces gouvernements peuvent s'en plaindre, mais franchement, ils considèrent l'Iran comme une menace stratégique en raison de son programme nucléaire et du soutien que l'Iran apporte depuis longtemps aux terroristes, non seulement au Hezbollah et au Hamas, mais aussi aux Houthis et aux milices chiites en Irak”.
Les États du Golfe se trouvent aujourd'hui tiraillés entre leur désir d'autonomie et leur dépendance à l'égard des garanties de sécurité américaines - en particulier au vu des nombreuses bases américaines disséminées sur leurs territoires, qui servent avant tout à protéger les intérêts régionaux de Washington.
Les accords entre les États-Unis et les États du Golfe accordent aux forces américaines l'accès à l'espace aérien, aux ports et aux bases militaires de ces pays, fournissant ainsi un soutien logistique aux opérations régionales. Si les États du Golfe ont formellement rejeté les opérations offensives américaines sur leur territoire, ils autorisent toujours les activités défensives.
Le Qatar, seul allié officiel des États-Unis non membre de l'OTAN, accueille la plus grande concentration de forces américaines dans les bases d'Al-Udeid et d'Al-Sailiya. Le Koweït arrive en deuxième position en termes de quantité et de nature des ressources américaines réparties sur quatre bases, à savoir : Camp Doha, Arifjan, Ali al-Salem et Buehring.
Les Émirats arabes unis disposent de trois bases américaines, Al-Dhafra, Fujairah et le port de Jebel Ali, qui fournissent toutes des services de soutien logistique. Quant aux installations américaines en Arabie saoudite, il s'agit d’Eskan Village et de Prince Sultan Air base, qui fournissent des systèmes de défense aérienne et antimissile et utilisent des avions militaires. Le Bahreïn accueille trois bases : Juffair, Sheikh Isa et Muharraq, et Oman en accueille un nombre similaire : Al-Masna, Thumrait et Masira.
Tous ces pays relèvent du domaine du Commandement central américain (CENTCOM), qui s'efforce de “contrer la menace iranienne”.
L'opération Al-Aqsa Flood de l'année dernière a relancé le débat sur la dépendance de la sécurité du Golfe à l'égard de Washington. Les experts estiment que l'escalade actuelle entre l'Iran et Israël obligera les États du Golfe à trouver un équilibre entre leur rapprochement diplomatique avec Téhéran, d'une part, et leur engagement envers une alliance de sécurité régionale dirigée par les États-Unis, d'autre part.
Les États-Unis ont cherché à rassurer les dirigeants du Golfe en leur proposant de les aider à se défendre contre toute agression iranienne potentielle. Pour appuyer leurs propos, les États-Unis ont approuvé la vente de missiles TOW à Riyad pour un montant de 440 millions de dollars et ont autorisé la vente d'armes et de munitions à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis pour un montant de plus de 2,2 milliards de dollars.
Concilier condamnation publique et coopération secrète
Le nouveau livre du journaliste d'investigation Bob Woodward, War, qui met en lumière la dynamique récente entre le Conseil de coopération du Golfe et Israël, révèle que les dirigeants de la région, notamment ceux des Émirats arabes unis, de Bahreïn, de l'Arabie saoudite et du Qatar, sont unanimes - en privé - sur la nécessité d'éliminer le Hamas, tout en s'efforçant discrètement de minimiser les réactions de l'opinion publique sur leur coopération secrète avec Israël.
Après l'opération “Al-Aqsa Flood” d'octobre 2023, les États du golfe Persique ont condamné l'attaque, mais ont ensuite engagé des initiatives diplomatiques pour éviter que les tensions régionales ne s'aggravent encore. Ces développements ont notamment perturbé des projets clés, y compris la normalisation avec Israël et les plans de diversification économique, en particulier en Arabie saoudite.
Le journaliste iranien Mohammad Gharavi explique à The Cradle que les événements du 7 octobre 2023 ont mis à rude épreuve les relations saoudo-iraniennes jusque-là positives :
“Les Iraniens croyaient qu'une relation positive aurait un impact favorable en termes de soutien à la cause palestinienne, mais la position saoudienne est restée neutre en dépit de l'opportunité historique à saisir dans le pays et dans l'environnement islamique. Malheureusement, la question palestinienne est le principal sujet de discorde avec le Conseil de coopération du Golfe, c'est pourquoi nos messages indiquent que le moment est venu de changer de cap”.
Il décrit les relations saoudo-iraniennes comme ayant enregistré des progrès significatifs en termes de coordination et de coopération depuis que les deux États voisins ont conclu un accord de rapprochement à Pékin l'année dernière :
“Les messages rassurants de l'Iran, ainsi que les avertissements de ne pas aller trop loin dans la coopération avec les Américains et les Israéliens pour contrarier l'Iran ou utiliser les espaces aériens, terrestres et maritimes pour mener des actions hostiles contre lui, ont été influents et positifs et peuvent être mis à profit dans l'étape à venir, car ils reflètent la détermination des deux pays à mettre de côté les différences dans l'intérêt de la sécurité des deux pays et à protéger l'alliance stratégique avec la Chine et d'autres pays pour ce qu'elle comporte de dimensions économiques”.
En fin de compte, les États du golfe Persique restent neutres - pour l'instant. Leur avenir dépendra toutefois des garanties concrètes et transparentes que leur donneront les États-Unis. Si de telles garanties sont obtenues, le Golfe pourrait être disposé à s'aligner plus ouvertement contre l'Iran, dans la mesure où leurs intérêts s'opposent à ceux de l'Axe de la résistance, qui promeut l'indépendance régionale et l'autodétermination - des principes qui trouvent un écho auprès des populations arabes dans l'ensemble de l'Asie de l'Ouest.
https://thecradle.co/articles/neutral-for-now-persian-gulf-states-gamble-in-the-iran-israel-showdown
Excellent article!
Peut-on, réellement parler de Neutralité lorsque l’on évoque ces monarchies corrompues et ces principautés qui, au fond, pour la plupart ne doivent leur existence et, leur survie (pour l’instant) qu’à la manne pétrolière avec laquelle ils ont surgi des sables du désert. Je dirais plutôt que ces conglomérats tribaux sont les alliés de facto de l’Axe du Mal Washington-Tel-Aviv, cependant, fourbes et retors en même temps qu’hypocrites et versatiles, ils tentent de se placer dans le sens du vent, du moment, mais, au fond,ils n’en ont rien à cirer des Palestiniens qui constituent, pour eux, un boulet dont ils adoreraient se débarrasser. Ils craignent en même temps leur puissant voisin l’Iran, conscients de leur vulnérabilité, aussi ils sont, pour le moment comme, le c… entre deux chaises…Je suis sûr qu’au fond, ils souhaitent être débarrassés de leur puissant voisin. Dès lors, ils multiplient les déclarations affirmant leur « neutralité ».
Il est extraordinaire de constater l’état de délabrement avancé dans lequel se trouvent les relations internationales, dominées par l’avidité, la corruption, le chantage, la duplicité, la « double pensée », l’hypocrisie, et tous les travers que l’on peut imaginer….Il est donc extrêmement difficile de « se faire une religion », la trahison des alliés et des « faux-frères » sont monnaie courante. Cependant, ceux qui sont au gouvernail ne se font pas d’illusions, étant eux-mêmes des maîtres en matière de mensonges et trahisons….
Quelle immense farce!
Les victimes demeurent les mêmes….La vérité et les valeurs morales en premier lieu, la légalité internationale et la justice, et enfin les peuples qui ne sont ni élus, ni voués à une destinée manifeste, de préférence les « sans voix », les « sans dents », les « mal blanchis » d’une manière générale….
Il y a, vraiment, quelque chose de pourri dans ce…royaume….