👁🗨 The Trust Fall : Julian Assange - un plaidoyer sincère et percutant pour la liberté du fondateur de WikiLeaks
Le réalisateur Kym Staton évoque son travail sur un récent documentaire consacré à la persécution pernicieuse du journaliste australien & aux répercussions sur la liberté de la presse & la démocratie.
👁🗨 The Trust Fall : Julian Assange - un plaidoyer sincère et percutant pour la liberté du fondateur de WikiLeaks
Par Jana Voykova, ЯНА ВОЙКОВА, le 20 décembre 2023
Si ce qu'il a révélé n'était pas vrai, ils n'essaieraient pas de le cacher.
Si les esprits ne pouvaient pas apprendre, ils n'essaieraient pas de les étouffer.
Si les cœurs ne pouvaient s'unir, ils n'essaieraient pas de les diviser.
Kym Staton, musicien australien, écrivain, fondateur et directeur de la plateforme de streaming Films For Change, a écrit ce poème pour son premier film documentaire sur Julian Assange et son implacable persécution, intitulé “The Trust Fall : Julian Assange”.
L'ancien rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, a qualifié l'affaire Assange de “plus grand scandale judiciaire de l'histoire”, un euphémisme.
“The Trust Fall : Julian Assange” est une description très puissante, authentique et chargée d'émotion de l'injustice dont Assange est victime depuis plus de 13 ans, mais aussi une représentation juste et honnête des événements entourant WikiLeaks et Assange, ainsi qu'un plaidoyer profondément sincère pour le sort de la liberté de la presse, des droits de l'homme et de l'avenir de l'humanité en général.
“The Trust Fall : Julian Assange” a fait le tour de plusieurs festivals de cinéma dans le monde et devrait sortir en salle en début d'année prochaine. Une bonne partie de son financement a été obtenue par financement participatif (crowdfunding) sur gofundme, où tous ceux qui le souhaitent et qui en ont la possibilité peuvent encore soutenir la cause.
J'ai eu le privilège de m'entretenir avec le réalisateur du film, Kym Staton, au sujet de son travail sur le documentaire et des implications plus larges de l'affaire Assange.
Jana Voykova : Kym, je sais que vous en avez déjà parlé dans des interviews précédentes, mais je pense qu'il s'agit d'un aspect important de votre travail et que cela vaut la peine d’y revenir. Vous avez dit avoir suivi l'affaire de près depuis 2010, mais ce n'est qu'en 2017 que vous vous êtes engagé plus sérieusement, et que vous avez commencé à y prêter plus d'attention. J'aimerais vous demander de raconter l'histoire de ce qui vous a fait prendre la décision d'agir.
Kym Staton : Bien sûr, c'est une combinaison de plusieurs choses. J'ai regardé quelques documentaires sur le sujet et, avant cela, en 2010, j'ai vu la vidéo Collateral Murder aux informations, mais à l'époque, je ne savais pas ce que c'était, ce que cela signifiait réellement, ce qui s'était passé et qui était responsable de la diffusion de ces informations au public. C'est donc vers 2017 que j'ai commencé à regarder quelques documentaires, comme Risk et quelques autres, et que j'ai commencé à remettre en question les récits diffusés, à essayer de comprendre l'importance de ce que WikiLeaks et Julian Assange avaient apporté au monde, et j'ai vu le documentaire Ithaka réalisé par Ben Lawrence et produit par Gabriel Shipton, le frère de Julian, un film très perspicace.
Ensuite, j'ai assisté à une conférence qui s'est tenue il y a quelques années seulement, globalement au début du projet, une conférence de John Shipton, le père de Julian. Il y décrivait l'une des anecdotes du procès d'extradition où Julian était enfermé dans une salle vitrée au fond du tribunal, et où il devait parler à travers une minuscule fente et s'aplatir à genoux, tandis que son avocat devait se tenir sur la pointe des pieds pour pouvoir communiquer, et je me suis dit que c'était une véritable injustice, et tout cela était d'anormal.
Toutes ces informations se sont combinées à le sentiment croissant de ma propre ignorance, de mon inaction et de mon inutilité face à ce problème - je n'étais pas impliqué et je ne savais même pas ce qu'il en était -, j'ai réalisé que j'avais du retard à rattraper. J'ai donc décidé de réaliser un simple documentaire sur YouTube et j'ai passé quelques mois à le réaliser, mais l'intérêt a décollé et le soutien n'a cessé de croître, le projet s'est développé et, au fur et à mesure, il est devenu de plus en plus important et j'ai compris que nous pouvions réaliser une œuvre digne du cinéma et, à mesure que le financement augmentait, le projet s’est développé, et nous avons pu ajouter des séquences comme des animations, des interviews des personnes auparavant difficiles à joindre.
Je crois que c'était en 2022, environ un an après le début du projet. Nous avions réalisé la première animation, représentant la situation dans la salle d'audience avec le banc des accusés en cage de verre, et nous l'avons partagée sur les réseaux sociaux. La femme de Julian, Stella Assange, l'a remarquée et nous a envoyé un message nous disant “Vous devriez venir à Londres, assister à la réception d'anniversaire de Julian”. Cet épisode n’est pas relaté dans le film, mais une masse d'interviews et d'intérêt a vraiment décollé à ce moment-là, et le projet est passé d'un budget zéro à un petit budget, puis à un budget moyen, et c'est ce qui a permis de réaliser quelque chose que nous pouvons faire passer dans les cinémas et dans les festivals.
Jana Voykova : Vous avez qualifié cette affaire de “test décisif pour l'humanité” lors d'interviews précédentes. Qu'entendez-vous exactement par là ?
Kym Staton : Je pense que c'est un test dans le sens où la réponse du monde à la situation, à l'injustice, la persécution est vraiment un jugement de notre conscience, de notre compassion et de notre bravoure. Et aussi le précédent créé par la persécution de Julian, l'événement sans précédent d'un citoyen australien, d'un journaliste australien extradé pour être jugé en vertu d'une loi américaine, ce qui est une parodie obscène de justice, un détournement choquant de la loi et une ingérence extraterritoriale. Le test consiste donc de savoir si les honnêtes gens du monde entier peuvent faire la part des choses et couper court aux mensonges et à la diffamation pour aller à l'essentiel, à savoir la persécution de quelqu'un qui a dit la vérité et dénoncé les crimes d'autrui. Il s'agit donc de faire valoir notre capacité à nous unir, à collaborer et à travailler ensemble pour faire quelque chose.
Jana Voykova : Dans la foulée, je voudrais parler du titre du documentaire. Auparavant, il s'intitulait “Free The Truth” [Libérer la vérité], puis vous l'avez rebaptisé “The Trust Fall” [La chute de confiance : le principe du jeu est de se laisser tomber en arrière et de faire confiance à la personne censée vous rattraper]. Lors d'une conversation avec le lanceur d'alerte australien David McBride, vous avez expliqué l'origine de ce titre, qui représente essentiellement l'idée que lorsque quelqu'un expose des vérités gardées secrètes, il s'appuie sur le public, ce qui implique une grande confiance mutuelle. Vous avez également fait l'analogie avec quelqu'un qui monte sur scène et tombe dans la foule, il a confiance dans le fait que la foule le rattrapera. Compte tenu de la procédure de persécution et de l’ensemble de l'affaire, pensez-vous que nous avons manqué à notre devoir envers Julian, que nous n'avons pas réussi à le rattraper ?
Kym Staton : Oui, c'est un échec cuisant jusqu'à présent, rien de ce qui a été essayé ou tenté n'a fonctionné. Mais il est toujours en vie, et il s'accroche. Il est toujours en train de tomber, il est toujours sur cette longue trajectoire descendante avec un santé et un état mental précaire, et sa situation empire de jour en jour. Il vit maintenu dans les pires conditions, des endroits froids, étroits, et donc il tombe toujours et c'est toujours à nous de le sauver de la mort, de cette condamnation à 175 ans de prison dont il est menacé, avec ces fausses accusations d'espionnage, ce qui représente en réalité une condamnation à mort.
Ils essaient de le tuer lentement, c'est une forme moderne d'exécution que de maintenir quelqu'un - un homme innocent, une personne courageuse et géniale - en isolement pendant quatre ans et demi - et en détention arbitraire pendant 13 ans maintenant si l'on remonte de l'assignation à résidence à l'ambassade, et ensuite à la prison. Tout cela constitue une méthode d'exécution moderne. À l'ère moderne, nous ne pouvons pas faire ce qui était infligé aux éditeurs clandestins il y a 300 ans à Londres. Ils menaçaient les journalistes, les éditeurs et les dissidents pour effrayer les autres, les futurs éditeurs ou quiconque s'engageait à partager des vérités et à remettre en question les récits.
Mais cette méthode moderne est très intelligente et sournoise. Elle permet de confiner et de réduire au silence dans des circonstances si cruelles qu'on en perd la raison, impactant gravement la santé en raison du stress. Assange a eu une mini attaque, sa paupière gauche est désormais tombante et donne l'impression qu'il cligne des yeux. Il a vécu de terribles épisodes de dépression, il a eu du Covid parmi l'année dernière, je crois. Tout cela est donc un moyen d'exécuter lentement quelqu'un de manière discrète.
Jana Voykova : Vous l'avez dit vous-même, nous avons tenté beaucoup de choses dans notre plaidoyer pour sa libération, et dans les premières années de l'affaire, les pression politiques étaient moindres. Mais aujourd'hui, ce n'est plus le cas. De nombreux hommes politiques, qu'ils soient australiens, européens ou américains, font pression sur l'administration Biden pour qu'elle abandonne les poursuites sans issue en vue dans cette affaire. Des personnes impliquées m'ont récemment dit qu'elles pensaient qu'Assange serait extradé dès le mois de janvier. Je ne voudrais pas trop m'écarter de votre domaine d'expertise, mais vous devez avoir un avis sur la question. Qui, selon vous, a le pouvoir de le libérer ? Le président américain, quelqu'un d'autre, le public ?
Kym Staton : En fait, tout le monde. Le Premier ministre australien a le pouvoir de faire libérer Assange parce qu'il est citoyen australien. Il est donc possible pour Anthony Albanese, Premier ministre australien, d'exiger sa libération. Rendez-nous notre citoyen, libérez-le. C'est possible, et si Albanese essaie de prétendre le contraire, c'est un mensonge.
Et bien sûr, il est possible pour Joe Biden de simplement d’abandonner les charges, il n'a même pas besoin de dire ou de faire quoi que ce soit, il suffit d'abandonner les charges, dans une posture semi-décente, semi-raisonnable et compatissante, et se donner l'air de défendre la démocratie et la liberté d'expression comme il prétend le faire.
Et nous avons, comme vous le dites, des gouvernements, des dirigeants d'autres pays qui appellent à sa libération. La pression augmente doucement, pas assez rapidement, il faut vraiment qu’elle s'accélère, et c'est pourquoi je pense que l'éducation et la sensibilisation sont extrêmement importantes. Particulièrement en Australie, parce que ce que nous avons vu avec Anthony Albanese, c'est que le gouvernement travailliste, avant qu'Albanese ne soit élu, lors d'une réunion à huis clos en coulisses, aurait dit : “Ça suffit, je ne vois pas l'intérêt de faire traîner cette affaire aussi longtemps”, ce qui donne vraiment l'impression qu'il pensait que Julian devait être libéré.
Il aura fallu qu'il soit au pouvoir environ six mois pour qu'il fasse enfin quelque chose ou même une déclaration à ce sujet. Lorsqu'il s'est enfin exprimé, il s’est contenté de simplement répéter cette déclaration.
Il avait insufflé un certain optimisme, on a cru qu'il allait faire quelque chose, nous avons attendu et attendu, mais sans résultat. Albanese et le ministre des Affaires étrangères Penny Wong ont insisté sur le fait qu'ils faisaient de la “diplomatie feutrée”, arguant du fait qu'ils parleraient directement à Biden, au ministère de la Justice et à l'administration des États-Unis.
Mais ce qui a été noté ces derniers mois, grâce à des demandes de liberté d'information, c'est que le gouvernement australien oeuvre à ce qu'une fois extradé, condamné et emprisonné en Amérique, Julian puisse purger sa peine en Australie, et c’est tout à fait inacceptable, immoral et injuste qu'un journaliste subisse tout cela, finisse en prison et soit ensuite ramené en Australie dans une prison australienne.
Ils ont aussi récemment trouvé de nombreuses excuses... ils essaient essentiellement de dire qu'ils ne peuvent pas interférer avec la politique américaine, et suggèrent même que Joe Biden ne peut pas interférer avec la procédure judiciaire, ce qu'ils font pourtant régulièrement, de manière routinière, et c'est donc mensonger, une fois de plus. Je pense donc que ce que nous observons ici, c'est que le gouvernement australien prend les citoyens australiens pour des gens naïfs et stupides, et les citoyens australiens doivent vraiment prouver que ce n'est pas le cas.
Nous devons nous informer et voir à travers ces écrans de fumée, ces façades de démocratie et comprendre la corruption et ce processus de bouc émissaire est conçu pour intimider le monde et effrayer les journalistes et les lanceurs d’alerte. et empêcher ainsi un homme très intelligent et très déterminé - Julian Assange - de poursuivre son travail essentiel de publication, de journalisme.
Jana Voykova : Je sais que Robert F. Kennedy l'a défendu, Marianne Williamson et quelques autres aussi ... Vivek Ramaswamy, je crois. Ce sont des personnes des divers horizons politiques engagées à libérer Assange dès le premier jour. Pensez-vous que ces engagements soient fondés ou qu'ils se servent de l'affaire, comme l'a fait Albanese en Australie, comme d'un outil politique ?
Kym Staton : Nous ne pouvons qu'espérer... Les hommes politiques sont connus pour faire des promesses qu'ils ne tiennent pas. Une autre candidate à la présidence qui pourrait potentiellement libérer Julian, et je crois vraiment qu'elle le ferait, est Jill Stein, la représentante des Verts qui apparaît dans le documentaire parce qu'elle fait partie du groupe Doctors for Assange qui défend la santé de Julian et sensibilise aux transgressions des droits de l'homme concernant notamment son intégrité corporelle et ses conditions de détention. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle donnerait suite à cette demande, l'ayant rencontrée et ayant établi un lien avec elle pour le documentaire.
Robert F. Kennedy a déclaré qu'il libérerait, gracierait Julian Assange dès le premier jour. Ce concept de grâce est un peu étrange et inapproprié car il n'a rien fait de mal. Espérons qu'il ira jusqu'au bout. C'est une bonne chose, c'est une étape, c'est ce qui doit se passer et, grâce à la sensibilisation du public, à une meilleure compréhension de l'affaire par le public, on peut espérer que la liberté de Julian Assange deviendra un enjeu électoral clé lors des prochaines élections américaines.
Donald Trump est intéressant parce qu'il semble vraiment changer d'avis sur la question. À un moment donné, il a dit qu'il aimait WikiLeaks, puis, peu de temps après, il a prétendu qu'il ne savait rien de WikiLeaks, encore un mensonge. Mais le fils de Donald Trump a déclaré dans une interview il y a quelques mois qu'il pensait qu'Assange devait être libéré. Je me demande donc si Trump aurait le courage de défendre cet homme, la liberté d'expression et la liberté de la presse s'il redevenait président.
Mais une chose est sûre, c'est que la pression publique est essentielle parce qu'en fin de compte, ce sont ces politiciens et ces dirigeants qui doivent résoudre ce problème et libérer Julian, et ils ne font pas vraiment souvent ce que souhaite le peuple, alors un très grand nombre de personnes doit impérativement réclamer sa liberté pour que ces politiciens écoutent et fassent ce qu'il faut.
Jana Voykova : J'aimerais vous parler du documentaire et du processus de production. Vous avez commencé le projet en février 2021, je crois.
Kym Staton : C'était aux alentours de mai 2021, donc environ deux ans et demi.
Jana Voykova : Ah, pardon. La première a eu lieu au Festival du film documentaire de Meblourne, où vous avez remporté un prix dans la catégorie Meilleur réalisateur émergent, un prix très mérité, alors félicitations ! Quel a été l'accueil jusqu'à présent, je sais que vous avez présenté le documentaire dans divers festivals à travers le monde ?
Kym Staton : Il a été très bien accueilli. Je pense que ce n'est pas un film facile à sélectionner pour les festivals, parce qu'il soutient fortement Julian et qu'il est assez dur à regarder, avec notamment des images de “Collateral Muder”. C'est un film tragique, très émouvant, qui n'attire pas les foules et n'est pas destiné aux familles. Mais il a été sélectionné par de nombreux festivals, en particulier des festivals des droits de l'homme, et a remporté quelques prix. Nous l'avons surtout présenté au Festival du film de Varsovie, un très grand festival. Il y a eu quatre projections qui ont attiré beaucoup de monde. La première mondiale à Melbourne, le 30 juillet, a fait salle comble dans la plus grande salle.
La chose la plus excitante est de voir la réaction du public après les projections et, lors de la toute première projection, nous n'avions aucune idée de la façon dont les gens réagiraient. Allaient-ils rester assis tranquillement, allaient-ils se mettre en boule, se tasser dans leurs sièges, allaient-ils applaudir ? Et ce qui nous a vraiment surpris lors de cette première projection, ce sont les applaudissements du public. Ils ont applaudi six fois pendant le film, à des moments clés, et c'est quelque chose que je n'avais jamais vu en près de dix ans de projection de documentaires, des centaines de documentaires dont j'ai organisé les projections, dont j'ai été l'hôte.
Voir le public réagir de cette manière était donc très gratifiant, et à la fin du film, recevoir une ovation et des applaudissements était incroyablement émouvant, y compris les séances de questions-réponses avec certaines des personnes merveilleuses apparues dans le film. En allant jusqu'à la scène, deux personnes sont venues me serrer dans leurs bras, pour me féliciter. Un grand gaillard est venu et m'a dit : “Je peux te prendre dans mes bras, mec ?” Je pense qu'à ce moment-là, nous savions que nous étions sur la bonne voie.
En fait, nous n'avons même pas... vous savez, nous aurions pu nous dire “Bon, d'accord, le film a gagné un prix, il a été ovationné et il est sorti à guichets fermés, d'accord, nous avons réussi”. Nous avons ajouté l'interview de Robert F. Kennedy Jr. et apporté quelques modifications aux animations, puis nous avons procédé à l'étalonnage et à la bande son, ce qui a été fait assez rapidement.
En fait, cela m'a incité à faire passer le film à un autre niveau, parce que j'ai réalisé que nous avions déjà atteint notre objectif de faire un film qui fasse pleurer les gens, qui les rende furieux, et qui les mette en colère, et je me suis dit : “Voyons si nous pouvons encore améliorer ce film, et en faire un outil plus percutant pour aider Julian”.
Jana Voykova : Oui, c'est une expérience très émouvante. Après avoir regardé le documentaire, on est en colère, et on a envie de pleurer à plusieurs passages du film. Je comprends donc cette réaction. Vous avez fait des choix artistiques intéressants dans la production, vous avez mentionné des animations, vous avez écrit quelques poèmes et vous avez fait intervenir des artistes de renom comme Roger Waters, par exemple, pour la narration. Pourquoi avez-vous décidé de briser les conventions de cette manière, qu'est-ce que cela ajoute au film, selon vous ?
Kym Staton : C'est une excellente question, merci. L'une de mes préoccupations était que les documentaires politiques sont généralement froids et secs. J'ai vu des documentaires qui sortent de ce paradigme, en particulier un film intitulé Unity de Shawn Monson, un réalisateur américain, qui est l'un de mes documentaires préférés. J'ai trouvé ce film incroyablement émouvant et j'ai donc eu l'idée, au moins pour le dernier chapitre du film, de donner une motivation et de l'inspiration avec les voix off. J'ai commencé à écrire la narration au milieu de l'année dernière, en 2022, .
J'écrivais un peu chaque jour. Je me levais le matin et lorsque j'avais l'esprit dispo, je prenais une tasse de thé, je passais une musique apaisante, et je me laissais aller à mes sentiments parce qu'à ce moment-là, cela faisait un an que je travaillais sur ce dossier, j'avais beaucoup appris, et c'était un processus très éprouvant sur le plan émotionnel que de se plonger dans cette affaire, dans toutes ces persécutions et ces traitements infects. J’ai écrit environ 60 jours, et j’ai partagé le résultat sur Facebook, pour évaluer les réactions.
Les poèmes et les déclarations qui ont suscité le plus de réactions de la part des gens sont ceux que j’ai gardé. C'était un bon moyen d'éviter toute subjectivité, et de découvrir ce qui résonne chez les gens, en se basant sur le nombre de partages et les commentaires. Et c'est ce qui s'est retrouvé dans le film. Je pense que l'avantage, ou le bénéfice de ce type de procédé est de pouvoir vraiment toucher les gens émotionnellement, en leur rappelant ce dont les humains sont capables, en montrant ce que le monde pourrait être.
Vous savez, certaines choses peuvent ou non se dire en prose avec des déclarations plus froides et classiques, et on a parfois besoin de métaphores. Et lorsque vous combinez le langage poétique, les métaphores, l'imagerie, la musique et le design sonore, le volume allant ou non crescendo, vous pouvez , avec ces éléments combinés, créer quelque chose qui sort de l’ordinaire, avec une capacité illimitée à ouvrir l'esprit ou de réveiller quelqu'un, ou de susciter des émotions. Et nous espérons susciter l'intérêt de personnes qui ne regarderaient sinon pas de documentaire politique parce qu'ils sont trop secs et froids. Juste en incluant un peu de philosophie, de poésie et d’art, y compris les animations qui sont très bien faites.
Jana Voykova : Vous êtes vous-même un artiste - vous êtes musicien, vous écrivez et vous êtes réalisateur, donc ce choix a dû être évident. En pensant aux instruments utilisés et à ce que vous venez de ditre, à savoir que l'un de vos principaux objectifs avec le documentaire est de sensibiliser le public, quelle serait, selon vous, une réaction significative, qu'espérez-vous que les gens fassent lorsqu'ils verront le documentaire ?
Kym Staton : J'espère qu'ils auront une réaction émotionnelle, y compris les hommes. Certains nous ont dit qu'ils avaient pleuré en le regardant, c'était l'un de mes objectifs parce que les hommes ont tendance à être très fermés, on nous dit qu'il ne faut pas pleurer, qu'il faut être fort, dur et sans émotion, et c'est peut-être l'un des problèmes dans le monde.
Il est donc naturel que les hommes et les femmes aient une réaction émue face à cette injustice et à ce traitement terrible, et je serais très inquiet de voir quelqu’un sans réactions de ce type après une projection. C'est très éprouvant, et s'ils réagissent, puis digèrent les informations, en apprennent davantage, prennent en compte tous ces détails et tous ces faits, les évaluent, j'espère qu'ils se sentiront poussés à faire quelque chose, à dire quelque chose ou à agir, que ce soit en écrivant à leur député local, en participant à une manifestation ou, je ne sais pas, en écrivant une chanson ou un livre, ou même tout simplement en en parlant à leurs amis, ou en conseillant à leurs amis d’aller voir le film, d’en parler à leur tour, afin qu’une prise de conscience puisse grandir et se propager. Et avec un peu de chance, nous pourrons résoudre ce problème et libérer cet homme, protéger la liberté d'expression pour les générations futures, parce que c'est tellement important pour nos enfants et pour les enfants de nos enfants de pouvoir dire ce qu'ils pensent, et de défier les gouvernements et les autorités et de communiquer entre eux, de parler librement tant que cela ne fait de mal à personne.
Jana Voykova : C'est le cas. Vous avez interviewé 23 personnes je crois, dont certaines sont, comme vous l'avez mentionné, Jill Stein, d'ardents défenseurs d'Assange depuis le tout début. Vous avez également interviewé le légendaire Dan Ellsberg avant qu'il ne décède malheureusement. Il s'agit du lanceur d’alerte des Pentagon Papers dans les années 1970, qui a joué un rôle clé dans la fin de la guerre du Viêt Nam. Avez-vous appris au cours de ces entretiens et conversations qui vous aurait marqué, vous aurait fait une forte impression, que vous ne saviez pas auparavant, ou qui vous a étonné ?
Kym Staton : Beaucoup de choses. La réalisation du film a été une incroyable expérience d'apprentissage, un grand privilège d'interviewer et de communiquer avec toutes ces personnes formidables, intelligentes et bienveillantes. Ellberg m'a parlé pendant plus de deux heures dans son jardin à San Francisco, et on sentait bien une personne pleine de compassion.
Ce qui m'a surpris et enthousiasmé, c'est le lien entre Ellsberg, Martin Luther King Jr. et le Mahatma Gandhi, avec la philosophie de Gandhi en matière de résistance non violente. Satyagraha signifie s'en tenir fermement à la vérité, c'est-à-dire dire la vérité quoi qu'il arrive, y croire et s'en tenir à elle. C'est quelque chose qui a inspiré Martin Luther King, Daniel Ellsberg et Ellsberg aussi, qui travaillait pour le gouvernement américain en tant qu'analyste et soldat au Vietnam, et a vécu un incroyable revirement dans sa vie grâce à la rencontre d'un adepte de Gandhi et d'une femme - devenue sa femme -qui était militante pour la paix.
Cela lui a rappelé que les êtres humains peuvent changer leurs idées, leurs habitudes, leurs actions et leurs croyances et qu'au lieu d'accepter la guerre et de faire ce qu'on leur dit, ils peuvent devenir des défenseurs de la paix. Ce thème de la vérité et de la force de la vérité, du Satyagraha et de la paix dans le monde est donc très présent dans le film et nous voulions vraiment souligner le fait qu'Assange et WikiLeaks avaient pour mission de mettre fin aux guerres. Julian a une citation célèbre qu'il a prononcée lors du discours "Stop the war" à Londres, il y a quelques années. Il a dit : "Si les guerres peuvent être déclenchées par des mensonges, il faut que cela soit clair : "Si les guerres peuvent être déclenchées par des mensonges, la paix peut être déclenchée par la vérité". Ce sont donc des thèmes forts du film et j'ai remarqué que, même si les personnes interrogées venaient d'horizons politiques et de points de vue différents, la mission et le souhait communs de tous étaient un monde sans guerres.
Jana Voykova : Avez-vous l'intention de rendre public l'intégralité des entretiens ?
Kym Staton : Oui, c'est ce que j'avais en tête. Je pense qu'une fois que la diffusion aura vraiment progressé, si j'en ai le temps et l'énergie, j'irai les présenter et les diffuser sur les réseaux sociaux parce qu'ils sont vraiment fascinants. Peut-être sous la forme d'un podcast, ou d'une vidéo ou de fragments de vidéos, parce qu'évidemment nous nous sommes retrouvés avec plus de 25 heures d'images qui ont dû être compressées sur deux heures, il reste donc encore 23 heures de propos intéressants que les gens pourraient appréciers.
Jana Voykova : J'en suis certaine. Ma dernière question concerne la distribution du documentaire. Vous êtes maintenant en contact avec des distributeurs du monde entier et je me demandais quelle est la procédure à suivre si quelqu'un souhaite faire venir le film dans son pays ?
Kym Staton : Nous avons en effet récemment obtenu la distribution du film dans le monde entier par l'intermédiaire de Journeyman Pictures, basé à Londres. C'est donc eux qui s'occuperont de la distribution. Toutefois, en ce qui concerne les salles de cinéma, il est possible pour les distributeurs d'autres pays de devenir des sous-distributeurs pour leur région. Nous invitons donc les distributeurs de tous les pays qui souhaitent contribuer à la distribution du film en salle à me contacter, ou Journeyman Pictures. À l'heure actuelle, le film est disponible pour les festivals, pour les projections institutionnelles, c'est-à-dire pour les écoles et les universités, et pour les salles de cinéma.
Nous le présentons donc dans les cinémas australiens, et nous recevons d’ores et déjà des réponses de leur part, de sorte qu'il sortira en Australie au début de l'année. En fait, cet après-midi, j'ai reçu la première réservation d'un cinéma, avec un public en direct, un grand écran, etc. Le film sortira en salles en Australie à partir de janvier, puis dans d'autres régions dans le courant de l'année. Nous avons l'intention de projeter le film en direct, d'abord avec le public, car je pense que c'est l'expérience la plus puissante pour créer un changement et avoir un impact sur les gens, puis nous passerons à la diffusion en continu et à la SVOD [vidéo à la demande par abonnement] et au paiement sur Google Play. Apple iTunes est prévu pour l'année prochaine, une fois que nous aurons terminé le processus d'exploitation en salle.
Mais le film a été diffusé il y a quelques semaines sur RT, une importante société de diffusion par satellite, dont la plupart des abonnés se trouvent au Moyen-Orient, en Afrique et en Inde. Nous avons donc saisi cette opportunité, car ce public est très difficile à atteindre. Je n'ai pas encore les chiffres, mais je pense que des millions de personnes ont vu le film lors de cette unique diffusion. Nous en étions très heureux et nous espérons vraiment que le film se répandra grâce au bouche-à-oreille, à la sensibilisation, aux organisations... Nous ne tarderons pas à ouvrir nos portes aux projections communautaires, et les gens peuvent se rendre sur notre site web thetrustfall.org pour manifester leur intérêt pour les projections communautaires, voir nos prochaines projections, s'inscrire sur une liste de diffusion et soutenir le film... etc.
Jana Voykova : Merci beaucoup, Kym d’avoir été si généreux de votre temps. Merci d'avoir réalisé ce film, il est vraiment brillant, vous avez fait un magnifique travail.
Kym Staton : Ce fut un plaisir, merci à vous de m'avoir donné l’opportunité d’en parler.
Thank you so much for highlighting this interview and taking the time to translate it for your readers.